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• TERRAIN - Pandémie de Covid-19, confinement et enfants placés (4)

Les familles d’accueil sont trop souvent négligées, sinon méprisées un peu considérées comme les parents pauvres de la protection de l’enfance. L’occasion de leur donner la parole est suffisamment rare et précieux, pour que Lien Social ouvre son site à leur témoignage. Une version courte est à retrouver dans la rubrique « Echos du terrain » dans Lien Social n°1281.

Enfants confiés et confinés, familles d’accueil sous pression (4) Améliorer le suivi des enfants placés

Par trois assistants familiaux (1) et Philippe Godard (2)

Il n’est pas rare que des enfants changent d’éducateur sur un rythme annuel. À chaque nouvel éducateur, il faut tout recommencer, réciter de nouveau la même histoire, comme l’explique cette assistante familiale : « Pour ce garçon que j’accueille depuis dix ans, je suis la seule et unique personne qui le suit depuis le début de son placement, tous les autres intervenants changent, éducateurs, psychologues, professeurs, médecins, responsables de service ASE ou IME… Il a en permanence de nouveaux interlocuteurs et ce qui doit arriver, arrive : il ne veut plus parler de son histoire à personne. Je le comprends, être obligé de reparler ce qui vous fait mal et vous blesse encore et encore est extrêmement difficile. »
Dans nos départements, le suivi des enfants n’est pas assuré dans le long terme par le même éducateur de placement, et chacun de ceux-là arrive avec ses expériences et ses illusions. On recommence donc pour systématiquement aboutir aux mêmes conclusions et reproduire les mêmes échecs. Ce qui nous amène à affirmer qu’en réalité, il n’existe pas de dossier de l’enfant digne de ce nom : l’institution ne produit qu’un simple dossier administratif, mais pas un livre de la vie de l’enfant.
Le système d’aide sociale à l’enfance mis en place par le pouvoir régalien est une lourde machine que tout le monde doit suivre au pas, au risque de se retrouver écrasé. Tout le monde est parfaitement conscient des dysfonctionnements de cette machine, de son inefficacité sur certains points, mais personne ne souhaite, ne peut ou n’arrive à trouver des solutions pragmatiques. Pour faire face, de nouveaux textes, nouvelles lois, nouveaux décrets sont publiés sur lesquels tout le monde se rue, tentant de les comprendre, de mettre en place des actions pour se donner bonne conscience jusqu’au jour où il apparaît que ces textes sont inapplicables ; alors tout le monde convient qu’il faut en publier d’autres… Pendant ce temps, rien n’avance. La société ne reconnaît toujours pas ses « orphelins », n’en parle pas, ne communique pas sur le sujet… et la machine continue à écraser.

Deux témoignages

« La référente annonçait à une assistante avoir organisé une réunion pour déterminer l’avenir de l’enfant qui était placé chez elle. Cette réunion regroupait les professionnels en contact avec l’enfant. Bien entendu l’AF ne faisait pas partie de cette réunion. Elle l’a fait remarquer à la référente en disant qu’elle n’était peut-être pas professionnelle. Confuse, la référente s’est excusée en précisant bien qu’elle n’avait pas pensé à l’inviter, mais qu’elle pouvait venir. L’AF lui a fait comprendre qu’ils pourront bien se passer de la seule personne qui suit l’enfant au quotidien… »

« Et puis vous vous faites pratiquement engueuler quand vous dénoncez un axe négatif de l’enfant que vous accueillez parce que l’éducatrice connaît mieux le gamin qui vit chez vous H24 étant donné qu’elle le voit deux fois par an et que les écrits passés suffisent. Puis quand vous assistez à une réunion de recadrage d’un gamin et que systématiquement vous vous faites-vous aussi recadrer et humilier devant lui et ses parents… Pourquoi ? pour bien montrer qui commande ! »

S’immerger avec les enfants placés pour mieux les comprendre ?
Nous pourrions aisément imaginer que tout référent éducateur ait l’obligation de faire un stage d’une semaine non-stop chez un assistant familial, donc vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour s’imprégner de ce qu’est notre quotidien avant de prendre en charge des enfants et leur assistants familiaux respectifs. Nous sommes bien conscients que nous sommes à des années-lumière d’une réforme de ce genre, et pourtant… Très souvent, pour ne pas dire toujours, celles et ceux qui décident du placement de l’enfant, avec ses problématiques particulières, n’ont jamais vécu avec des enfants relevant de ces problématiques. Nous l’avons certes choisi, ce métier, et nous en sommes heureux et fiers, et ici, nous ne demandons qu’une seule chose : que ceux qui décident pour nous aient au moins un minimum de connaissances au sujet de ce que nous sommes amenés à vivre. Car, comme nous l’avons souligné dans la première partie de cet article, les modifications de la famille et des problématiques des enfants placés ces trente ou cinquante dernières années sont énormes, et à notre avis, ces bouleversements justifient à eux seuls une nouvelle approche du placement. Pourquoi ne pas le cerner, précisément, en le vivant non par procuration mais en direct pendant une semaine ? Cela pourrait très facilement être intégré dans le cursus de formation au travers d’un stage.
Les référents nous aideraient considérablement en assumant un rôle de « conseil éducatif » qui soit un vrai partage entre eux et nous. Au cours de sa carrière, un éducateur est confronté à bien des situations qui se résolvent par bien des solutions. Il pourrait être utile de partager ces expériences avec les familles d’accueil. Il n’est pas question de dresser un catalogue de solutions toutes prêtes, ni d’être injonctif vis-à-vis des assistants familiaux (« C’est comme ça qu’il faut faire ! »). Tout le monde sait bien que ce n’est pas une méthode pour obtenir des résultats. Il faudrait plutôt ouvrir le dialogue : « Dans une situation similaire, tel de vos collègues a procédé de la sorte, nous pourrions peut-être tenter de faire comme cela ? » En fonction des pathologies des enfants, nous ne savons pas toujours comment aborder certains troubles, une aide serait donc la bienvenue, en tout cas pour les débutants.

La formation en question
Nous sommes tout à fait conscients que les assistants familiaux actuels ne sont pas tous de bons éducateurs, et certains commettent même des erreurs. Nous l’acceptons parfaitement, et c’est sans doute pour cela que l’on nous a proposé de passer un examen et d’obtenir un diplôme. Or, disons-le nettement : tel qu’il est conçu, cela ne sert à rien. La formation, de 240 heures, que nous recevons dans nos départements est complètement inappropriée, les cours sont inadaptés à nos besoins. Nous revenons en conclusion sur d’autres thèmes que nous aimerions voir aborder et qui nourriraient notre pratique éducative.
À noter enfin que ce que nous pouvons apprendre en formation, et pour peu que cela soit un peu au-dessus de la moyenne, nous ne pouvons pas vraiment le faire valoir. Si jamais nous avons l’audace d’évoquer une position différente des « professionnels », ces derniers nous font vite comprendre que nous devons rester à notre place et que les vrais pros sont là pour donner un avis qui est le bon. Observer un enfant pendant des mois et émettre un avis ne vaut rien à côté de celui d’un médecin qui voit l’enfant dix minutes…

(1) Qui souhaitent rester anonymes par crainte de représailles et de perdre leur travail.

(2) Ancien formateur occasionnel dans un institut régional de travail social, auteur de livres documentaires pour la jeunesse, ainsi que de Graines de futur (Arbois, Cet Atelier, là, 2020), sur une maison d’enfants à caractère social, et de l’essai Pédagogie pour des temps difficiles. Cultiver des liens qui nous libèrent (Montréal, éditions Écosociété, à paraître en janvier 2021).

Suite et fin (5) demain « Pour la cause des enfants »