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• TERRAIN -Les établissements pour personnes en situation de handicap sous tension

Par Philippe Bonneau, frère et tuteur d’une personne handicapée résident en Foyer d’accueil médicalisé

Initié fin 2015, un plan d’action ministériel « ambition-transformation 2019-2022 » vise à promouvoir une nouvelle offre, radicalement différente pour le secteur médico-social.
Le dispositif va commencer à être expérimenté dès cette année.
Il concerne en particulier les établissements et services médico-sociaux (ESMS) accueillant des personnes en situation de handicap.
Il est mené par l’Etat au nom de trois grands principes : l’autonomie, une société plus « inclusive » et la « désinstitutionnalisation ».

Comment ne pas être d’accord pour « donner plus d’autonomie » (quand c’est possible...), rechercher l’inclusion des personnes handicapées dans la société (c’est-à-dire permettre aux familles de retarder le plus possible l’entrée en établissement) ? Bien sûr, cela est souhaitable. En revanche, lorsque la personne est dans l’« institution », il ne s’agit pas de fragiliser l’établissement ! Ni d’ériger la désinstitutionnalisation en doctrine !

La nouvelle offre va se concrétiser par la mise en place d’un nouveau dispositif managérial et financier au nom angélique de SERAFIN PH (PH pour personnes handicapées). Le dispositif repose sur :
- une décomposition et une identification de toutes les taches, actes ou services concernant les personnes handicapées, qui permet d’aboutir à une nomenclature des taches.
- une tarification de chacune d’entre elles
- un droit de tirage de tel ou tel service (droit personnalisé de choisir la prestation de son choix) laissé à l’initiative des personnes en situation de handicap
- la mise en place de « plateformes territoriales de services »
- un financement des ESMS, non plus au moyen d’une dotation globale négociée (sur la base d’un prix de journée notamment) avec les agences régionales de santé et les conseils départementaux, mais en fonction des actes pratiqués et désormais tarifés. Ce qui conduit à un pilotage des ESMS par les « recettes » escomptées et non plus par les charges.

Cette déclinaison par l’Etat des trois principes d’autonomie, d’inclusivité, et de désinstitutionnalisation dans ce nouveau dispositif est sujette à caution, voire dangereuse.

On est en droit en effet de s’interroger sur le bien-fondé de ce dispositif qui repose sur :
Une nomenclature des taches : ce découpage technocratique nous rappelle le taylorisme au moment de la révolution industrielle ou plus récemment la tarification à l’acte (la fameuse T2A) dans les hôpitaux ). Comment en effet identifier et évaluer toutes les taches d’accompagnement, comment évaluer l’humanité, la qualité de ces traitements, comment comparer des taches faites avec un accompagnement sur mesure et en confiance au sein d’un établissement et des taches assurées hors établissement avec recours à des services difficiles à identifier par les PH ?

Un droit de tirage : dans quelle mesure les personnes en situation de handicap pourront-elles l’exercer, quels choix possibles à leur niveau ? Ce droit est lié en effet à l’autonomie de la personne, laquelle est très restreinte chez la majorité des PH en établissements.

Le recours à des services extérieurs qui risque de se faire pour les seules taches valorisantes et profitables (soins d’hygiène, d’esthétique, massages, ...), en réservant à l’établissement les taches les plus ingrates (toilette, aide aux repas, etc...)

La tarification des taches qui conduit à une marchandisation des soins à la personne, comme ce qui a été fait avec la « tarification à l’acte » dans les hôpitaux (et les résultats que l’on connait sur l’offre réduite en nombre de lits de réanimation et de personnel, face au Covid). Et quelle évaluation sera réservée à l’empathie, à la bienveillance, au dévouement attachés à ces services ?

Le pilotage des ESMS par les « recettes » rigidifie le système (désormais une somme de taches tarifées) et soumet leur financement de façon mécanique aux aléas et aux contraintes des budgets dédiés au médico-social par l’Etat (via les agences régionales de santé) et les conseils départementaux. Il affaiblit d’autant le pouvoir de négociation des ESMS.

Les risques de cette nouvelle doctrine de l’offre sont redoutables :
Cela va aboutir -dans une logique concurrentielle- à une délégation au secteur privé libéral des taches les plus gratifiantes et à plus grande valeur ajoutée et conduire les établissements à assumer les taches les plus ingrates, avec un financement réduit au minimum.
Les perspectives salariales et d’intérêt pour le travail du personnel soignant et accompagnant en ESMS vont être dégradées, ce qui risque d’augmenter un turn-over déjà sensible et fragiliser d’autant les résidents en établissements.

Une autre voie est souhaitable et possible : développer, améliorer et conforter l’offre en établissements.

Si les établissements médico-sociaux existent, c’est parce qu’ils ont été créés et portés depuis une cinquantaine d’années par les familles et leurs associations face à la carence de l’Etat dans le domaine. On en compte environ 12000 en France.
Au lieu de leur fournir l’aide nécessaire, la doctrine officielle de l’Etat serait désormais « la désinstitutionnalisation » !
Alors que le problème principal est le déficit en places d’accueil ! Ce qui conduit d’ailleurs près de 6000 personnes à se tourner vers la Belgique.

Au contraire, on doit continuer à reconnaître la nécessité des ESMS, contribuer à les conforter, à améliorer l’offre qu’ils proposent (notamment en relation avec le vieillissement de la population accueillie) sur la base de contrats d’engagement pluri-annuels avec des financements renforcés.
Les ESMS sont d’ailleurs entrés depuis un moment dans cette voie d’adaptation et de modernisation.
Au sein des ESMS, la concertation des familles, de la direction, du personnel, et des personnes en situation de handicap est essentielle pour répondre aux enjeux du secteur et à l’évolution souhaitable de l’offre.
C’est le cadre le plus adapté pour évaluer les besoins et y répondre. Il convient de soutenir cette concertation afin de porter des projets innovants qui feront évoluer l’offre dans le bon sens.

Derrière l’appellation angélique de SERAFIN, un ange décrit par Isaïe avec trois paires d’ailes, un diable ne se cacherait-il pas ?