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• TERRAIN - La gangrène gestionnaire

Billet de Michelle MVF, assistante sociale

Depuis quelques années, le secteur social est attaqué par des politiques gestionnaires.
Incapables de parvenir à imaginer des solutions aux multiples problèmes sociaux, nos politiques, nos élus délèguent aux gestionnaires, aux administrations, aux organisations le soin de s’occuper de la patate chaude, cette masse de pauvres, de laissés pour compte, de vieux, de handicapés, de fous, de chômeurs, de femmes battues, d’enfants maltraités, de délinquants, de jeunes sans avenir en vue…. Tous ces gens qui font tâche et qui coûtent cher.
Et les administrations, les organisations font ce qu’elles savent faire : au lieu de chercher de vraies solutions, elles mettent en place des process, des reporting, le benchmarking…Et la tuyauterie prend le pas sur le réel.
Mais au moins, on a du concret : des chiffres, des courbes, des camemberts, des graphiques.
Et si les problèmes augmentent au lieu de diminuer, ce doit être de la faute des professionnels chargés de frayer avec « ces gens ». Ces professionnels qu’on essaye pourtant d’aider au moyen de ces courbes, ces camemberts, ces graphiques, ces chiffres. Ce sont vraiment des incapables, il faut tout leur mâcher… et on rajoute des diagrammes, des pyramides, des tableaux…Les outils de gestion deviennent le but même de l’action professionnelle.
Cela provoque bien entendu la perte de sens de notre travail, des interrogations douloureuses sur la survie de nos métiers.
Quel avenir pour les personnes que nous rencontrons ? Celui de n’être qu’une statistique ? Passer du statut de personne, de sujet, à celui d’objet ?
On les inscrit dans un « parcours », ayant un « projet de vie », passant par des étapes prédéfinies, des « dispositifs », suivis par des coachs…
Les politiques prennent des décisions, ou du moins entérinent celles imaginées par d’autres, qui entraînent plus de pauvreté, de désespérance et s’étonnent que nous, fantassins du social, ne parvenions pas, à la seule force de nos petits bras musclés à les résoudre malgré les obstacles semés sur notre route.
Les contraintes pèsent à présent sur le temps de travailleur social qu’on veut bien accorder aux « plus démunis ». Trente minutes, quarante minutes, et au suivant ! Au suivant ! Se concentrer sur l’urgence du moment, aller à « l’essentiel », nous dit- on. Mais qu’est-ce que l’essentiel ? Pour nous, travailleurs sociaux, c’est d’abord être vraiment écouté, reconnu dans sa singularité, et être partie prenante dans l’identification des problèmes et la recherche de solutions. Même si elles sont hors parcours…Et nous savons bien qu’aller à l’essentiel de ce qui est important pour la personne nécessite bien souvent des détours multiples. Ou même simplement que la possibilité de détours soit offerte…