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• TERRAIN - « L’éduc de personne »

Par Miouf, Educateur spécialisé


On a parlé de nous sur France 2 à une heure de grande écoute et pour ça il faut dire merci à Lyes LOUFFOK et au réalisateur pour ce très bon film. Les acteurs qui jouent les trois périodes de l’enfance de Lyes sont tous très bons.

Les dérives visibles dans le film sont réelles, bien qu’un peu caricaturales (enfin je l’espère pour cet « éducateur » très violent). En voyant ce film, on a tous pu faire des liens avec des situations que nous avons vécues dans notre exercice professionnel. Le pétage de plomb de l’éducatrice auprès de sa chef de service fait du bien, on avait envie d’hurler avec elle.

Ce film montre donc les dérives d’un système, les aberrations que nous vivons tous les jours et qui impactent les enfants et les personnes qui les accompagnent. On peut même se demander si nous ne sommes pas à la création de tous ces incasés (je me refuse de les appeler les incasables). L’état des foyers est semblable à un bateau qui coule, l’état de l’ASE à une épave au fond de l’eau. On le sait tous, on le vit tous, les enfants en subissent les conséquences et notre santé psychique aussi.

Le débat qui a suivi a été insoutenable, pour ma part. Tous les intervenants qui accompagnent des enfants ont pu montrer la détresse dans laquelle ils sont. La famille d’accueil avait des trémolos dans la voix, on l’a sentie touchée, fatiguée, heurtée. La journaliste auteur d’une enquête choc a, elle aussi, pu par des témoignages nous montrer l’horreur que vivent certains travailleurs sociaux. La posture de Lyes (qui a pu me chagriner par le passé) a été très bonne. Il ne s’est pas énervé, bien que très fortement agacé par les propos des représentant de l’État.

Venons-en à ces responsables politiques. C’était affligeant. Même après le film aussi émouvant qui les avaient précédé, on n’a vu chez eux qu’une posture politicarde, des réponses évasives et un je je-m’en-foutisme déconcertant. La journaliste l’a bien répété : la protection de l’enfance touche les pauvres, les "sans dents", les "toxicos", les "cas soc"... Les personnes qui s’en occupent sont dociles, on ne dit rien, on ne se met pas en colère. Quand les pompiers jetaient leurs casques, les infirmières leurs blouses, nous on a bossé. Lorsque le covid 19 a frappé, qui a pensé à tous les éducateurs enfermés entre quatre murs avec des mômes pour qui rien n’allait ? Le devenir de ces enfants est catastrophique. Si l’on devait juger une société au traitement de ses enfants les plus en difficulté, quelle honte pour la nôtre !

Et si la seule solution pour qu’on devienne l’éducateur de quelqu’un, l’éducateur de la protection de l’enfance, ce ne serait pas de se comporter comme Lyes enfant ? Car, si l’enfant de personne a des raisons d’être en colère et de le montrer. L’éduc de personne aussi...

Montrons tout ce que nous savons faire de positif. Montrons que nous sommes des experts de la relation à l’enfant. Montrons que nous fourmillons d’idées novatrices. Montrons que sans nous, la société exploserait. Il faut qu’on se réveille tous : soyons insolent, pénible, arrogant, exigeant ! Soyons tout ce qu’il faut pour montrer à ses enfants que nous sommes avec eux. Attachons-nous à a eux, jusqu’à en pleurer, portons-les, calinons-les, faisons leurs des bisous, amenons-les en vacances, faisons avec eux des projets fous, ne nous refusons rien. Amenons chez eux un espoir, un avenir, un projet, une idée. Résistons autant que possible, faisons bloc en équipe, faites grève.

Le non passage à l’acte des travailleurs sociaux est une double peine pour ces gamins qui n’ont rien demandé. Battons-nous pour eux, battons-nous pour nous. Revenez à l’essentiel, la solidarité.

Soyons à la fois dégoutés et reboostés par tout cela. Soyons-nous, nous-même. Soyons des putains d’éduc. Lorsqu’on est l’éduc de personne, on se sert les coudes.


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