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• TERRAIN - Journal de bord - Qui se soucie des enfants ?

Par RR, Educateur Spécialisé en CDEF.

Les décisions politiques annoncées il y a trois semaines, au nom de la santé, sont inédites et entravent notre bien-être à tous : privation de la liberté de circuler librement, limitation des interactions sociales, suspension de l’école… Car oui, nous n’éduquons plus la jeunesse, elle ne s’ouvre plus au monde. La scolarité se fait à domicile, au mieux. Pourtant, malgré les efforts des parents, les enfants n’ont pas les mêmes bénéfices qu’à l’école : professionnels spécialisés et pédagogues qui enseignent, socialisation avec les pairs, ouverture sur le monde par la diversité de personnes qui entourent les enfants.

Alors, qu’en est-il des enfants placés ? Sans surprise, c’est pire pour eux. Déjà fragilisés par un parcours de vie douloureux, ils peuvent pour certains se retrouver désormais confinés avec leurs parents, pour ceux dont c’était le projet à moyen terme. Très peu de suivi pour ces jeunes, aucune assurance que les difficultés qu’ont rencontrées les parents par le passé ne se réitèrent pas, en particulier dans un contexte difficile comme celui du confinement 24 heures sur 24 avec l’ensemble de la famille.

Pour les jeunes qui restent en foyer, ce n’est pas non plus la panacée. Ils se retrouvent confinés avec d’autres jeunes placés, chacun ayant ses fragilités et ses difficultés, dans un lieu où le vivre ensemble, toute la journée, est vite insupportable. Car c’est de cela dont il est question. Il est difficile pour chacun d’entre nous de vivre le confinement, source d’angoisses, qui isole, nous fait tourner en rond, et bien plus. Imaginons ce que ces jeunes vivent. Ils sont les uns avec les autres, systématiquement, doivent supporter toutes les expressions de mal-être des autres, tout en se débattant avec leurs propres angoisses. Si, pour chacun de nous, nous sommes malgré tout un peu en contact avec nos proches ou nos amis, les jeunes placés sont eux pour la plupart privés de lien avec l’extérieur, si ce n’est avec les professionnels qui se relaient pour les accompagner au mieux. Pas d’accès au soutien familial, ni au milieu ordinaire, ni à la scolarité. Et tous sont dans la même situation, entre eux.

Le résultat, au quotidien, est visible. En trois semaines, les jeunes semblent plus renfermés sur eux-mêmes, les conflits sont fréquents, des fugues inévitables, et la scolarité est compliquée.
Comment faire, en effet ? Nous sommes éducateurs, avec un groupe de jeunes qui n’est absolument pas du même niveau scolaire. Faire de l’individuel, c’est notre métier. Mais il nous faut du temps pour cela. Jamais, nous ne pouvons faire ce que les écoles font. Car la première des choses est de donner envie aux jeunes. Envie de travailler, même s’ils ne sont pas à l’école mais dans leur foyer, même s’ils ne voient pas leurs professeurs, même si nous ne sommes pas capables de les aider dans toutes les matières, même si l’année scolaire est finie.
On fait, on bidouille avec les mails reçus des professeurs et collègues de structures. Heureusement qu’ils sont là pour que les jeunes se sentent moins abandonnés. Car oui, les jeunes au CDEF se sentent isolés. Les seuls liens qu’ils ont sont avec nous ou les professeurs par mail, voire leurs référents ASE quand ils ont de la chance d’avoir un professionnel consciencieux qui appelle régulièrement. Le psychologue de l’établissement lui, « travaille à distance », mais est en fait aux abonnés absents, lorsque les jeunes ont le plus besoin de lui.
Enfin, le COVID-19. Il y a deux semaines, il y a eu de forts soupçons qu’un jeune l’ait contracté. Aucune certitude, pas de test pour les jeunes de la protection de l’enfance. Pas de masque non plus. Alors, on l’isole comme on peut, autant qu’on peut. Mais il est avec les autres jeunes, avec les professionnels au foyer. L’isolement est difficile pour ces jeunes qui ont un fort besoin de lien. Est-ce bien humain de laisser seul dans sa chambre un jeune pendant 14 jours ?
Du coup, on tempère, on n’applique pas une quarantaine stricte, d’ailleurs, dans notre structure, ce n’est pas réalisable. Alors maintenant, on se questionne. Les autres enfants risquent de contracter le COVID-19, nous aussi. Nous allons le ramener chez nous ?
Nous travaillons pour des jeunes qui sont placés « pour leur sécurité », on est en droit de se questionner sur leur sécurité réelle, qu’ils soient renvoyés chez eux, sans soutien, ou au foyer.

Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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