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• TERRAIN - Journal de bord - Pourquoi je démissionne

Par S. K., assistante sociale.

Le confinement de la plus grande pandémie mondiale, le début d’une prise de conscience.
Quand c’est la prise de décision qui est jugée et non la décision elle-même
Quand le retour au travail est synonyme d’angoisse et de colère, il faut prendre une décision, la fuite ou le changement. Je prends la décision du changement, de l’abandon mais pas du regret.

Adieu,

Vendredi, dernier jour. Je suis assistante sociale pour la dernière fois, vous ne devez pas nous connaître parce que vous ne savez pas ce qu’on fait dans vos services.

Pour vous, je fais des dossiers MDPH, je mets en place des mutuelles et je « gère » les problèmes de logement, je cherche des solutions pour que les patients achètent des caravanes. Pourtant, ça représente 10% de mes compétences. Parce que je suis capable de faire des choses que vous ne pourriez même pas imaginer. Par exemple ...

J’ai accompagné un paraplégique de naissance à faire de la moto ; j’ai accompagné une jeune infirme motrice à faire de la plongée ; j’ai accompagné un jeune cérébrolésé à participer à un match de son équipe de foot avec 0 € de budget ; j’ai accompagné une personne atteinte de la maladie de Charcot à déménager de Lyon à Hendaye ; j’ai récolté 1400€ pour financer un voyage au Japon pour une jeune ataxique ; j’ai animé un groupe de parole pour jeunes en situation de handicap autour de leur sexualité ; j’ai écrit le projet de l’école de la vie autonome ; j’ai permis à une personne complètement dépendante d’aller en Laponie ; j’ai soutenu l’écriture d’un livre ; j’ai créé un répertoire et un guide des établissements médico-sociaux ; j’ai animé un Comité de Promotion de la Bientraitance et soutenu des cuisiniers à obtenir une formation aux repas mixés ; j’ai organisé un échange d’équipe inter établissement pour mieux comprendre la Chorée de Hungtinton ; j’ai animé un atelier cuisine ; j’ai participé à la création du jeu de Lois ; j’ai accompagné une femme non voyante à avoir un enfant ; j’ai soutenu un homme ataxique contre un grand groupe de prévoyance devant les tribunaux ; j’ai permis l’attribution de la PCH Aide Humaine au titre du Répit ; j’ai animé un groupe de travail et soutenu la création d’une association pour 6 jeunes en situation de handicap autour de la communication ; je suis sortie en discothèque avec des jeunes adultes en situation de handicap ; j’ai soutenu un projet intergénérationnel avec des jeunes filles en situation de déficience intellectuelle, un EHPAD et une école de travailleurs sociaux ; j’ai permis à un atelier IMPRO d’apprentissage cuisine de préparer et de servir le buffet de Noël de la Mairie ; j’ai assisté au décès d’un bénéficiaire ; d’ailleurs, j’ai aidé à la rédaction de 60 directives anticipées ; j’ai organisé un mariage dans un foyer ; j’ai placé deux enfants en famille d’accueil ; j’ai travaillé jusqu’à 22h, jusqu’à l’arrivée de la police ; j’ai évité l’expulsion de deux familles ; j’ai soutenu et obtenu des titres de séjour ;
Mais hier mon quotidien, c’était 5 patients, 30 mails, un dossier MDPH ; trois appels ; un passage aux toilettes et 3 cafés ; j’ai fait un DIU Répit ; je forme des professionnels ; je corrige des examens ; …

La CAF a suspendu le versement de vos droits pour les raisons suivantes : “Dossier suspendu.
La CPAM a suspendu votre majoration tierce personne car vous n’avez pas répondu à notre courrier.
La MDPH a statué sur une diminution de vos heures d’aide humaine.
Nous ne pouvons répondre favorablement à votre demande d’admission, la perspective d’une entrée est supérieure à 10 ans.
Nous ne pouvons pas vous communiquer l’information, nous devons avoir l’accord de M. Tuutt (aphasique)

Et si vous prenez deux secondes pour regarder votre collègue, vous ne voyez que 10% de ce qu’il est. Laissez-lui l’opportunité de se déployer. Laissez-lui un espace pour faire preuve de créativité, pour donner son avis, pour penser, pour réfléchir, pour prendre du recul.
Si on laissait à chaque salarié l’opportunité de se saisir de l’enjeu institutionnel et si le projet de l’établissement qu’elle qu’il soit, faisait l’objet d’un travail avec TOUS, le virage ambulatoire serait pris depuis 1985. Il faut revoir le social en mode Agile. Comment peut-on comprendre les enjeux alors qu’ils ne sont pas expliqués ?

Il faut innover. Et l’innovation n’est jamais née de l’intelligence d’une seule personne, elle naît du partage, des échanges et surtout elle est l’affaire de TOUS !
Et si on permettait aux concernés, la personne handicapée mais aussi le salarié, l’infirmier, l’ASH, le moniteur éducateur, de faire partie de l’aventure et pas seulement de la subir, quels seraient les risques ?

Mais arrête de rêver. Ce monde n’existe pas. Aujourd’hui, il y a deux catégories, les savants et les faisants.
Les savants du 21e siècle n’ont pas découvert l’électricité, mais dans la signature de leur mail et au bout de leur fiche de paie, on trouve la légitimité qu’ils se sont auto-attribués à mieux connaître cet immense terrain de jeux que les autres.
Les faisants, ce sont ceux qui se taisent et qui jouent malgré que les jeux ne soient pas appropriés, dangereux, inaccessibles. Comme sur une plaine de jeux pour enfants, il y a le Maire et les ingénieurs qui ont élaboré cet espace et les enfants qui jouent, se brûlent les genoux, tombent mais il n’y a pas de morts, en tout cas pas assez, pour qu’on se dise qu’on devrait réfléchir à améliorer encore ces espaces pour assurer le bien-être et la sécurité des enfants.

On a demandé le changement d’intervenant pour l’analyse de la pratique professionnelle, ce temps précieux pour une prise de recul, ce temps de liberté. Et finalement, il a juste disparu, sans explication. Envolé le temps de liberté.
Pas de formations, pas d’APP, pas de fédération pour créer une cohésion, une vraie équipe de travailleurs sociaux, … Parlons-en, de FEDERER. C’est difficile de fédérer mais le football y arrive pourtant, dans un pays divisé en trois peuples comme la Belgique. Vous trouvez ça impossible de fédérer une équipe pluridisciplinaire de 10 individus autour d’un bon sens commun ? OUI ! Parce qu’il n’y a pas de bon sens et pas de commun, dans cette “équipe”. Parenthèse terminée. Pas d’assistants sociaux dans les espaces collectifs thérapeutiques, pas d’assistants sociaux dans les groupes de travail, pas de clinique en travail social, et pourtant …

Elle est probablement là, dans son bureau, derrière son ordinateur, au téléphone, avec pleins de papiers partout, mais vu qu’on ne sait pas qui elle est, on ne va pas l’inviter.

Le monde du social et du sanitaire, c’est une entreprise lucrative dictatoriale sous couvert de la charité et du soutien aux pauvres. Ne sont-ils après tout pas sous le chef de nos ministres qui montrent un exemple remarquable d’honnêteté et de transparence ? Divisez pour mieux régner. Le management par l’intimidation. L’accompagnement par la procrastination. La présence et le soutien par le silence.

J’ai regardé Hors Norme et j’ai pleuré, beaucoup. C’est tellement pour ça que j’ai choisi ce métier, pour sortir du cadre, innover, faire, agir, être là. Mais dans le fonctionnement de la société, dans nos institutions protocolisées à l’extrême, le sens n’est plus qu’une question d’absence et de handicap. Le métier d’assistante sociale, je l’ai choisi parce que j’aime les gens, j’aime l’être humain, sa complexité, son potentiel. J’aime jouer avec les lois, j’aime les challenges et j’aime l’innovation. Ce n’est pas un salaire qui sera au mieux de 1700 € net, pas un beau bureau qui mettra un bout de bois entre eux et nous, pas une chaise ergonomique qui me permettra de passer 8h derrière un PC, ce n’est rien de tout ça qui m’animent mais la réussite des projets personnalisés et chaque petite victoire du quotidien. Enfin, c’est ce qui m’a animé jusqu’à ce qu’une grosse tempête vienne éteindre toutes ces flammes.

Je souhaite à tous ceux qui n’ont pas les moyens de faire leurs courses sans regarder le prix au kilo, à tous ceux qui passent au zéro déchet pour des raisons économiques avant écologiques, à tous ceux qui ont déjà versé une larme au travail, à tous ceux qui viennent la boule au ventre, à tous ceux qui ont peur de leur entretien annuel, à tous les absents des protocoles, aux ASH, aux cuisiniers, aux auxiliaires de vie, aux infirmiers, aux travailleurs sociaux, aux secrétaires et aux assistants, je vous souhaite à tous bon courage et surtout bonne chance.

Alors adieu,
Adieu à ce merveilleux métier incompris, malmené et maltraité.

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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