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• TERRAIN - Journal de bord - « L’Armée des ombres » (1)

Par Claire Saillour, Psychologue Clinicienne.

Les Héros  : On applaudit tous les soirs les soignants, rite généralisé, mais aussi soin continu, devenu incontournable, légitime et Ô combien mérité !
Protéger ce rituel de gratitude, qui rassemble la population civile, désinfecte les plaies de l’isolement, soigne les querelles de voisinage, purifie les bruits de couloir d’immeuble, nettoie les rues urbaines et villageoises, booste les quartiers fatigués qui subitement s’enfièvrent, ré ouvre des fenêtres déprimées qui apparaissent à nouveau ! Les saluts aux balcons se propagent, les regards se touchent, les sourires sont contagieux.... Cette joie sans barrière qui tout à coup chasse les miasmes de l’anonymat des villes, dé-confine le « chacun chez soi » des grands ensembles, fait circuler l’Espoir, chante la Fraternité.
Petit bénéfice secondaire de cette « drôle » de période de confinement !
Il y a aussi tous ceux qui aident à vivre : les commerçants alimentaires, les caissiers, les éboueurs, les policiers, la gendarmerie, les militaires...Tout ceux-là que nous acclamons chaque soir à pleins poumons à 20h sont ceux qui travaillent, qui parfois tels « les soignants au front », sont galvanisés par l’action, le rythme, l’intensité, l’adaptation constante à renouveler, l’énergie à déployer, les solutions à trouver, les parades à inventer... Cette catégorie est celle des actifs, des « non-confinés » !

Les Terriers : Et puis il y a « les autres », Les Confinés ! On peut dire qu’il n’y a pas qu’un confinement unique dans lequel tout le monde se reconnaîtrait mais plusieurs configurations avec des vécus bien différents.
Mais qu’on confine seul ou à plusieurs, tous en revanche sont soumis à l’isolement d’avec l’extérieur, d’avec les autres... Distanciation sociale dit-on, mais surtout distanciation physique. Certains peuvent en être rassurés, ainsi cette femme très jalouse dont le compagnon télétravaille à la maison sans risque de rencontrer une rivale. Ainsi certains malades psychiatriques se sentant d’habitude fragiles et persécutés, qui constatent que tout le monde est concerné, que la société entière souffre et pas seulement eux.
Après deux mois de ce régime sans précédent les réactions se modifient et s’amplifient chez certains. Ce qui était supportable les premiers temps, l’est moins aujourd’hui ! On devient plus vite à cran, plus irritable, sans ressources.... Quelques-uns « pètent les plombs » !
Ne plus pouvoir travailler quand on aime son travail ! Ne plus travailler quand on en a besoin pour vivre, pour se nourrir ! Faire face à une inactivité soudaine et forcée ! Affronter un temps soudain vide et sans repères ! Devoir s’abstenir de sortir quand le printemps nous appelle dehors, à quitter nos « terriers », à enlever nos pelures, nos peaux mortes de l’hiver !... A renaître nous aussi comme la nature qui reprend vie ! A se rapprocher pour recevoir, donner, pour échanger, trouver de l’aide, du soutien… ! C’est ainsi qu’on stimule les défenses naturelles ! Le mouvement, les échanges, le plaisir sont bons pour la santé. Devoir s’abstenir d’aller vers les autres quand nous sommes avant tout des êtres de relation ! Ce, d’autant qu’on est plus fragile et dépendant comme le sont les anciens, les malades, comme le sont aussi particulièrement ceux qui sont actuellement privés de travail en raison de l’épidémie ! Le terme même de confiner comporte sa charge :« Toucher aux frontières de », « Être très proche de » ... Oui, on touche à certaines limites... celles du supportable, et d’un irréductible besoin d’espace personnel. Des limites à poser aux empiétements d’une trop grande ou trop longue proximité voire promiscuité. C’est le cas de ceux qui sont confinés ensemble.
Et « être confiné » n’est-ce pas avant tout le statut du malade ? Qui s’isole pour se protéger dans un espace stérile. Les « confinés » doivent vivre comme s’ils étaient atteints d’un mal ! Ils sont mis en place de malades ! On parle de « quarantaine » ! Ils ont des prescriptions à respecter, des ordonnances qui tiennent lieu d’emploi du temps, des consignes pour garder la chambre...

La Fable du lion et du rat :
Mis en place de « pâtir » comme des patients, dans une immense salle d’attente, armés de patience qui est aussi la qualité des jardiniers, tels sont les confinés ! Quelle sera leur récolte ? De quelle floraison leur patience sera-t-elle couronnée ? Attente, incertitude, isolement ne sont-ce pas aussi des caractéristiques des patients ? Qui pour se protéger mais aussi pour protéger les autres s’abstiennent de sorties, de contacts... pour ne pas rajouter du travail aux soignants, ne pas encombrer des lits d’hôpital.
S’immobiliser pour le bien collectif. Solidarité oblige !
Co-dépendance donc entre ceux « du front » et ceux de « deuxième ligne » les confinés... L’action héroïque des premiers est saluée, acclamée par la patience des seconds. Le respect dû aux premiers oblige la reconnaissance des seconds par leur obéissance aux strictes contraintes de cette vie de terrier ! Soutient aussi leurs efforts à « tenir bon » sur la distance dans cette vie cachée, dont l’horizon recule à mesure... Engage également une conscience accrue des places, des rôles de chacun, de l’importance de ces groupes humains que sont les actifs et les autres, les soignants et « les confinés-patients ». Qui font front commun, chacun à leur façon, devant l’ennemi soudain identifié, le virus, qui aide à retrouver un sentiment de corps social.

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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