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• TERRAIN - Journal de bord - Finir ensemble (1) ? Episode n°1


Par Christian Glasson, Educateur spécialisé.

C’est ici, au sein de la maison d’enfants, que j’ai perçu le point de bascule entre la normalité, le cours normal des évènements, celui avec lequel on s’habitue, celui qui devient presque une routine, si tant est que dans une telle institution il puisse y en avoir une, et l’inédit, l’improbable encore la veille. C’est dans un environnement entre ville et campagne que se déroule la scène. Les bruits de circulation se sont peu à peu tus, nous percevons subitement
plus nettement le retentissement des sirènes lancinantes des secours. Elles ne sont pas forcément liées à la pandémie en cours. Mais, mon inquiétude à ce sujet m’empêche de ne pas les associer. Le tintement des cloches des églises marquant le temps qui s’écoule est lui aussi plus discernable. C’est Francisco qui nous le fera remarquer à table. C’est sûr, il se passait quelque chose qui, hier encore, paraissait éloignée. Si bien qu’entre l’annonce de la
fermeture de toutes les écoles le jeudi 12 mars pour le lundi 16 mars et celle d’un confinement plus rigoureux à respecter, décrété le 17 mars à 12h, nous nous étions déjà retranchés, en limitant au strict minimum les déplacements lors de ce week-end du 14-15 mars 2020. Nous étions comme animés par une défiance maladive, face à un danger venu de l’extérieur.

De la nécessité de se protéger à la construction d’une cabane

Dès le vendredi 13 mars, quelques adolescents eurent l’envie de construire une cabane en bambou. Une des Cheffes de service les autorisa à la bâtir à un endroit défini : sur la rive
opposée du ruisseau qui nous sépare du parking. Ils sentirent dans l’expression de cette offre comme un défi qui leurs fut lancé. « Elle nous l’a dit comme si elle pensait qu’on n’allait pas y arriver !  » Ce fut la phrase qui jalonnera toute la mise en œuvre de leur édifice. Cette phrase les tiendra pourtant jusqu’au bout, durant une petite semaine. Elle les avait endurcis, leur conviction fut sans faille. Surtout pour Etan et Mathéo. Les deux frères, à la fois agacés, transformèrent le ton ironique par lequel avait été prononcée selon eux l’autorisation en une force. Mais ce désir de se mettre à l’abri, à l’écart, n’était-il pas lié avec l’actualité à laquelle ils accèdent ? Ce désir de « bousculer les habitudes et les repères pour plonger dans un monde nouveau, permettant d’espérer la création d’un univers où pourrait naître d’autres productions imaginaires (…) » (2) devenait incontournable.

Lors de leur chantier, en tant qu’adultes nous fûmes invités par eux, afin de leur prêter main
forte. Nous étions déjà à leur côté pour veiller à l’utilisation des outils mis à disposition (scie, marteau, bêche, sécateur). À partir de cette invitation, des échanges plus féconds de savoir-faire eurent cours, ce qui non seulement accélérait l’exécution de certaines tâches, mais aussi valorisait les uns aux yeux des autres. Chacun prit conscience qu’il y a toujours à prendre et à apprendre auprès de l’autre. En parlant en particulier avec Etan, je m’aperçus qu’il regorgeait d’idées et d’ingéniosité, tout en étant imbibé des vidéos sur Youtube (3) de ce type qui construit des piscines et des habitations souterraines en pleine jungle avec des moyens ancestraux. Je n’avais pas encore repéré chez lui cet intérêt. Nous échangeâmes un moment, en nous voyant déjà en train d’élaborer ces constructions fantasques. Ce qui se passait là permit aux enfants et aux adultes de se rassembler. Si les deux frères avaient pris l’initiative, Lucas, Théo, Clément, Théo, Axel, même Quentin, se regroupèrent par moment pour se répartir le travail, chacun en fonction de son habileté et de ses compétences ou de sa force et de son ingéniosité. Cette initiative de construire une cabane symbolisait à elle toute seule ce qui advint : « (…) d’autres manières d’être avec les autres et au monde  » (4) Cette première réalisation ne devait être que la première d’une série qui allait prendre naissance dans l’esprit de certains, enfants comme éducateurs. J’y reviendrai.

L’animation dans les rues décrut,
pourtant de quelques habitations sortaient des cris,
autant d’expressions de la difficulté de rester ensemble.

(1) Confinement est basé sur l’étymologie latine cum/finir, finir ensemble
(2) Mr. Tfue HOCINI, Faroudja, (sous la direction de), Jean-Louis Le Run, Catherine Potel-Baranes, l’enfant et ses espaces, édition érès collection enfances & psy, n°33, Ramonville Saint-Agne, 2006,166p.
(3) https://youtu.be/e-vZ_rBUCcw
(4) HOCINI, Faroudja, (sous la direction de), Jean-Louis Le Run, Catherine Potel-Baranes, l’enfant et ses espaces, édition Érès collection enfances & psy, n°33, Ramonville Saint-Agne, 2006,166p.

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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