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• TERRAIN - Journal de bord - Corona ou pas : que font les départements ?

Par Laura, éducatrice spécialisée dans un service d’aide éducative à domicile.
Reçu le lundi 23 mars, 10h31
 

Lundi 16 mars, avec les collègues on a attendu des directives. On a attendu toute la journée. On savait que le confinement allait nous tomber sur le coin du nez !
 15h00...rien....16h00...rien...17h00 « bon les meufs ça vous dit on appelle ». 17h15 les directives tombent : pas de visite à domicile avant mardi voire vendredi, que des contacts téléphoniques. On fait partie des privilégiés qui ont un portable professionnel. Alors on rentre chez nous, on met en place le télétravail. J’ai un rapport à finir ça tombe bien, d’ailleurs la conclusion de l’écrit ne va pas dans le sens de ce que souhaite le département !
Ah oui, je m’explique : mon service est expérimental. Grossièrement, le prix de journée est bien plus bas que celui en Maison d’enfants à caractère social (MECS), dans un département qui compte à peu près 230 000 habitants. Avec cette démographie, il y a trois MECS, dont une spécialisée en MNA : celle de mon association !
Ce département, j’y suis née et j’y suis revenu à l’aube de mes 30 ans. Très vite, je me suis rendu compte que mes préconisations, mes conseils dans certaines situations n’étaient pas pris en compte. Si ce n’était que ça ! En étant expérimental, ce cher département nous fait comprendre qu’on est pour l’instant pas grand-chose et que du jour au lendemain il peut nous couper les vivres ! Il est comme un sale parent à qui on aurait avoué notre homosexualité ou qu’on a remplacé Jean-Eudes par Rayan ! Comme si nous étions le mauvais élève, le vilain petit canard !
A l’heure de cette crise, Monsieur Taquet leur a laissé de nouveau les pleins pouvoirs ! Alors, encore une fois, les personnes que nous accompagnons au sens large sont bradés. Mais là, c’est leur santé qui est bradée … et la nôtre avec ! Au-delà du port de masques et de gants, le temps c’est de l’argent. Alors ? pour la continuité des services on y va et point barre ! Les foyers suffoquent ! Et ils sont de tous types : Foyer d’accueil médicalisé ; Maison d’accueil spécialisée AM, MAS, MECS ! Au-delà du fait, on est d’accord, certaines structures avant la crise était déjà mises à mal par des directions éloignées du terrain, il y a aussi ces foutus départements qui doivent très certainement mettre la pression sur les différentes associations en France ! « Vos salariés sont à l’arrêt, alors les sousous aussi  »
L’angoisse, l’anxiété gagne toutes les couches sociales, les plus fragiles se retrouvent isolés, mais l’angoisse gagne toutes et tous, et nous travailleuses et travailleurs sociaux nous n’y échappons pas !
Mercredi 18 mars : je suis en astreinte éducative. Appel d’une mère : sa fille à fuguée et elle mère ne peut pas sortir pour déclarer la fugue, car sa santé est fragile. Il est 20h30 et je sors retrouver la jeune qui m’a indiquée où elle était. Je tente de respecter les distances, mais en vain. Elle monte dans la voiture, nous décidons qu’elle sera conduite en famille d’accueil.
Jeudi 19 mars : ma direction décide que c’est moi qui dois aller chercher la jeune pour la ramener chez elle. Il est 17h30 et cela ne dépend pas de l’astreinte. Mais je suis la salariée qui habite le moins loin du service. Alors, vogue la galère : j’y retourne.
La crise actuelle du social n’est que le révélateur des nombreux dysfonctionnement déjà existants avant cette crise sanitaire !
Alors oui j’ai peur, peur de chopper cette saloperie dans le cadre de mon travail comme lorsque je vais sortir pour récupérer des courses ! Je vais sûrement déclarer des symptômes, mais tout cela sera sûrement psychologique. Je suis dans un département où nous avons été épargnés. Mais plus maintenant, chaque jour de nouveaux cas sont détectés !
Je n’ai pas eu besoin de cette crise sanitaire pour remercier les soignants, les pompiers. Ma vie personnelle a fait que j’ai eu à faire à eux pour des proches ou pour moi-même. Et je les ai toujours remerciés à leur juste valeur ! Toutes ces infirmières doivent se souvenir de mémé Ginette qui leur a hurlé dessus parce que sa prise en charge n’allait pas assez vite et Patricia qui amenait Jessica, sa fille, pour une vulgaire entorse à 2h00 du matin et qui n’a cessé de crier son mécontentement en salle d’attente pendant que Votre grand-mère fait un AVC. On ne devrait rien dire, parce que Ginette, Patricia et Jessica applaudissent tous les soirs à 20h. Alors on leur pardonne !
J’ai fais ce métier pour un monde plus juste, pour ne pas laisser certains en dehors du cercle, pour apporter à des personnes un peu de gaieté et de joie, pour les accompagner et leur proposer de tenter de faire différemment, pour construire avec elles des outils pour qu’elles se sentent moins exclues !
Mais aujourd’hui j’ai peur, peur pour eux, pour mes proches, pour moi ! Mais le département s’en fout !

Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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