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• TERRAIN - Journal de bord - Appel au service social départemental sur fond de crise liée à la pandémie déclenchée par le coronavirus (1)

Par Thérèse Gallot-Tenneroni, assistante sociale de formation, à la retraite après avoir exercé comme Polyvalente de secteur, a été aussi Responsable d’unités territoriales (ex-circonscriptions), Conseillère technique d’un conseil général lors de la décentralisation, Cadre de l’action sociale départementale dans le même département
et enfin Chargée de mettre en place et de piloter un observatoire social

S’il y a un constat qui revient sans cesse dans les médias c’est celui que cette crise révèle les inégalités existantes au sein de chaque pays (et aussi entre les pays), assorti à ce constat celui que la pandémie les augmente. Experts, politiques, acteurs divers de tous bords se manifestent pour évoquer leurs points de vue sur la question sociale. Si pour certains cela semble être une révélation, pour d’autres c’est une réalité très profonde et sérieuse qui ne date pas d’hier. Et beaucoup d’affirmer qu’il est grand temps que l’on regarde en face cette question sociale, que l’on s’interroge sur ses causes profondes et que l’on invente des réponses appropriées. Toutefois dans ce concert de voix on n’entend pas celle d’un acteur pourtant important. Je veux parler du service social départemental. Ce silence n’est pas nouveau. En effet, on ne l’a pas entendu, par exemple lors des événements de banlieues en 2005-2006 alors que les voix de multiples acteurs intervenant dans ces quartiers, ou connaissant cette population s’élevaient (animateurs de rue, éducateurs, médecins, pédiatres, juges, élus, etc.…) ?
Lors des manifestations des gilets jaunes en 2018-2019. Mais il est aujourd’hui de plus en plus assourdissant alors même qu’associations humanitaires et caritatives s’élèvent elles aussi

Alors, aujourd’hui, par ce message je veux m’adresser à vous, vous le service social départemental. Cette crise ne serait-elle pas l’occasion, pour vous, de manifester et d’affirmer l’autre volet de votre mission car, outre, celui d’accompagner les personnes en difficulté vers plus d’autonomie, vous avez celui d’aider à ce que la société réponde au mieux aux difficultés des personnes ?

Rappelez-vous la définition que l’ONU en 1962 a donnée du travail social : « Le service social (ou travail social) est une activité organisée visant à aider à l’adaptation réciproque des individus et de leur milieu social ; cet objectif est atteint par l’utilisation de techniques et de méthodes destinées à permettre aux individus, aux groupes et aux collectivités de faire face à leurs besoins, de résoudre les problèmes que posent leur adaptation à une société en évolution et grâce à une action coopérative, d’améliorer les conditions économiques et sociales »

Rappelez-vous aussi l’exemple des « pionnières » du service social : confrontées à la question ouvrière dès la fin du XIXème siècle en mettent en place des actions émancipatrices en lien avec les autres forces et en pratiquant l’action collective.

Rappelez-vous ce que disait Madeleine Delbrêl, assistante sociale, dans un livre publié en 1937 juste avant qu’elle soit employée comme polyvalente à la mairie d’Ivry (1) : «  .. Il est peut-être plus touchant de visiter, dans sa journée, cinq ou dix familles nombreuses, de leur obtenir à grand renfort de démarche tel ou tel secours ; il serait sans doute moins touchant mais plus utile, de préparer le chemin à tel texte légal qui améliorerait l’état familial de toutes les familles nombreuses connues ou inconnues de nous. » (2)

Ecoutez et faites vôtre ce qu’a dit sur ce sujet la conférence internationale du travail social réunie à Séoul, en Corée du Sud en juin 2016 et à laquelle plus de 200 pays participaient. Alors que le sujet traité était «  le travailleur social est-il prioritairement là pour aider au changement de société et à son évolution ou doit-il limiter son intervention à l’aide aux personnes ? » et ce dans un monde en mutation : « La réponse a penché dans le sens de l’investissement pour un changement social. »
Extraits de l’article qui lui a été consacré (3) : « Je souhaite vous demander : pouvons-nous parler du travail social sans parler… sur le pouvoir, la politique, et sur ceux qui détiennent le pouvoir et les leviers de décision ? (…) Ne pas traiter ces questions nous met dans la position de rendre les personnes que nous aidons responsables de leur situation d’échec comme si le système social n’y était pour rien (…) cela consiste à limiter le travail social à des actes de « simple assistance et de soutien (…) Si nous nous limitons à ce type de pratique [l’aide et l’assistance], même si c’est noble, nous contribuons à cacher la réalité plutôt que de la révéler. Nous allons simplement agir sur la surface d’un ordre social absolument cruel et inégal. Nous allons tourner le dos à l’égalité sociale, nous allons tourner le dos à l’essence même du travail social. »
Propos extraits de l’intervention de Silvana Martinez, présidente de la Fédération internationale des travailleurs sociaux (FITS) « …les gouvernements néolibéraux dans le monde occidental ont donné lieu à une vision du monde qui contredit l’expérience du travail social, en mettant l’accent sur la responsabilité personnelle de chacun face à la pauvreté. L’exclusion est considérée comme relevant de la responsabilité des personnes pauvres, plutôt que d’en reconnaître les causes plus larges.  » De là s’est développé un type de travail social professionnel et redoutablement efficace : « un travail social qui est mesuré, un travail social qui cible efficacement et fixe les individus déviants, considérés comme étant à contrôler dans un cadre politique néolibéral (…) Je pense que dans le climat actuel, les travailleurs sociaux doivent être plus agressifs dans la défense des droits. Ils doivent ‘affirmer leurs propres positions et valeurs qui permettent de comprendre et d’expliquer l’injustice structurelle et de l’inégalité structurelle plutôt que de blâmer les individus pour leurs circonstances. » (suite demain 8h00)
Et d’exhorter les travailleurs sociaux pour qu’ils portent une voix de la dissidence : « Nous pouvons soit laisser faire et ne pas affirmer notre identité, ou nous pouvons parler pour nous-mêmes et de prendre la parole pour les personnes que nous accompagnons, pour celles et ceux pour qui nous visons à apporter la justice et la dignité  » (propos extraits de l’intervention du Professeur Ian Hyslop de l’université d’Auckland)

(1) in « Ampleur et dépendance du service social, Bloud et Gay, Paris, 1937. L’auteur sera embauché comme assistante sociale par la mairie d’Ivry en 1939.
(2) Ce texte est cité dans un article intitulé « histoire du travail social collectif des centres sociaux a la création de la polyvalence de secteur » et écrit par Didier Dubasque, assistant social, ancien président de l’ANAS. On trouvera l’article entier sur le site de l’auteur : « écrire pour et sur le travail social »
(3) Compte-rendu sur le même site que précédemment. La traduction est celle d’un article paru dans le journal « the Guardian » : « What’s the role of social work : to change society or to help individuals ? » elle a été faite par Didier Dubasque

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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