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• TERRAIN - Erasmus, l’enfant qui exaspère son entourage - Épisode 1 : portrait d’un enfant différent (1)

On se pose souvent la question du travail réalisé auprès des enfants qui sont confiés à la Protection de l’enfance. Éric Jacquot, responsable d’un lieu de vie et d’accueil (LVA) nous propose un long récit sur la prise en charge surréaliste d’Erasmus que nous proposons au lecteur en cinq épisodes, tout au long de cette semaine.

Épisode 1 : Portrait d’un enfant différent

Erasmus a onze ans et pèse à peine trente kilogrammes.
Il impressionne et peut faire peur à ceux qui vivent avec lui. Il séduit l’innocent étranger qui ose s’approcher au hasard d’une rencontre. Erasmus sait de toute évidence que cette rencontre doit rester courte mais suffisamment longue pour susciter le doute et rester touchant.
Il est touchant à bords écorchant.
Longiligne, presque maigre mais vif, il a le physique d’un danseur d’opéra. On dirait que ses pieds ne touchent pas terre. Il est aérien et Il survole le monde qui l’entoure. Il ne l’habite pas, on dirait qu’il est de passage. Il semble étranger à tout ce qui n’est pas lui-même. L’autre n’existe pas ou sinon sur le registre de la concurrence ou la possibilité de se placer comme la victime de ce qu’il a en général déclenché tout seul pour se mettre dans ce positionnement confortable à son goût.
Il doit montrer au monde qu’il est beau, il s’habille en conséquence. Il est la lumière du monde et ses choix vestimentaires sont justes. Tout lui va, du moment où c’est serré, trop court et déchiré. Il est charmant et charmeur, ses yeux noirs éclairent le jour. Il en joue… C’est un coq et son royaume est le tas de fumiers de travailleurs sociaux qui l’empêchent de réaliser son rêve qui est celui d’avoir une maman. Nous reviendrons sur ce sujet un peu plus loin.
Il aura leur peau à chacun d’entre eux et son expression fétiche est «  il est grand temps que les têtes tombent  ». Il répète cela à longueur de journée en alliant l’esprit tragique de la phrase aux passages à l’acte ou démonstrations bizarres. C’est peut-être sa façon de faire comprendre aux zéducs qu’ils ont vraiment mal choisi le métier qu’ils tentent d’exercer. Il sait les remettre à la place qu’il leur destine. Ils ne sont rien sans lui et ils ne s’en rendent même pas compte ces ignares. C’est son personnage qu’il crée de toutes pièces qui leur permettent d’exister socialement et professionnellement et ils ne sont même pas reconnaissants. Alors c’est lui qui décide du début et de la fin de la relation ou de la conversation. Il ne laisse à personne le soin d’entraver son œuvre. C’est lui l’œuvre d’art et son sens de la tragédie vient le confirmer. Il est le centre du dispositif et il compte bien le faire savoir. Il connait bien ses droits et ignore complètement ses devoirs.
C’est lui la star de la vie et de sa vie en particulier. Il le sait. Il ne peut compter sur personne et il n’a confiance qu’en lui-même, il est le metteur en scène de son histoire et tous les autres ne sont que des seconds rôles qu’il faudra éliminer au fur et à mesure de son feuilleton de vie.
Pour arriver à ses fins, il est capable de tout et souvent du pire. Le meilleur, il le garde toujours pour la fin. C’est en général le moment où il achève symboliquement sa victime et qu’il porte l’estocade à une personne qui n’en peut plus et qui souhaite que tout s’arrête. C’est un fin limier qui maîtrise les limites des institutions qui l’accueillent. Il s’est fait son expérience et il a confiance en ce qu’il croit. Le doute c’est pour les autres, il ne redoute rien car lui il sait, un point c’est tout ! Ce qu’il pense c’est la vérité et donc il faut faire comme il dit puisqu’il sait.

Prochain épisode, demain : L’arsenal du petit tyran