N° 1308 | Le 4 janvier 2022 | Par Véronique Tivoli, assistante familiale du dispositif d’urgence pendant sept ans | Échos du terrain (accès libre)

Un week-end d’une famille d’accueil d’urgence

Thèmes : Placement familial, Assistant familial

En quoi consiste donc la journée de travail d’une famille d’accueil
d’urgence ? En voilà une illustration…

Accueillir sur le dispositif des familles d’accueil d’urgence, c’est accueillir sur le champ des enfants de 0 à 21 ans qui nécessitent d’être soustraits sans délai de leur environnement afin d’ assurer leur protection. Pour cela, les assistants familiaux qui y travaillent assurent à tour de rôle des gardes d’astreinte 24 heures/24 heures et 365 jours/365, afin qu’il y ait toujours sur l’ensemble du département une place vacante en cas de besoin d’accueil immédiat d’un enfant.
Ce week-end là je suis d’astreinte avec Madame Maest, la cadre de veille d’urgence d’astreinte de la Direction de la Solidarité Départementale.

Vendredi 13 avril 2018

21h30 : Laura une jeune fille de 15 ans que j’accueille depuis treize jours, me souhaite une bonne nuit avant d’aller se poser dans sa chambre.
23h00 : mon téléphone portable sonne et Madame Maest me sollicite pour l’accueil d’Anton, un jeune garçon de 9 ans, qui m’attend dans un commissariat à l’autre bout du département. Elle me renseigne sur la situation et me communique les quelques éléments transmis par les agents de police.
23h12 : je vais voir Laura pour la prévenir du mouvement. Et là, oh surprise ! Laura n’est pas dans sa chambre, la fenêtre est grande ouverte et… Laura a encore fugué !
23h15 : j’essaye de joindre l’adolescente sur son portable. Elle ne répond pas, je lui laisse un message.
23h18  : je rappelle Madame Maest, la mets au courant de la fugue de Laura et nous convenons de la conduite à tenir.
23h25 : j’avale un café, ferme la maison et à 23h40 je me mets en route.
00h15 : j’arrive au commissariat.
Je décline mon identité et je me présente à Anton. « Bonjour Anton, je m’appelle Véronique et tu vas venir dormir à la maison  ». Le petit garçon semble perdu au milieu de toute cette agitation et ne comprend pas tout ce qu’il lui arrive. Il est inquiet et a besoin d’être rassuré, conforté.
01h41 : retour à la maison. Anton vient de s’endormir. Je n’ai toujours pas de nouvelles de Laura, alors comme convenu avec la cadre d’astreinte, j’appelle la gendarmerie et déclare la fugue de la jeune fille.
02h06  : je me couche.

Samedi 14 avril 2018

8h45 : Madame Maest me téléphone pour faire le point sur les situations des enfants.
Du côté de Laura, toujours rien. Elle n’est pas rentrée et ne s’est pas manifestée. Quant à moi, j’ai rendez-vous à 13h45 à la gendarmerie pour être auditionnée.
Du côté d’Anton. Le petit garçon a fait une courte nuit, s’est réveillé très tôt ce matin et n’a pratiquement rien pris au petit-déjeuner. Il parle beaucoup du monsieur avec qui il voyageait et questionne pour savoir si celui-ci va rester en prison. Madame Maest me signifie que les parents d’Anton ont été prévenus au cours de la nuit et qu’ils sont arrivés au commissariat, où ils doivent être entendus. Puis elle m’explique qu’elle a essayé de joindre à plusieurs reprises la maman de Laura, sans aucun succès.
10h30 : Elle me rappelle et m’annonce que je suis attendue au commissariat avec Anton, dès que possible. Le petit garçon va être auditionné avant de retourner avec ses parents. Dix minutes plus tard, nous nous mettons en route.
11h10 : mon portable sonne à nouveau. Je me gare sur le bas-côté de la route et mets mes warnings. Une nouvelle situation d’accueil d’urgence se présente. Une maman vient d’être placée en garde à vue et son bébé de 15 mois doit être accueilli au plus vite. Etant sur la route avec Anton à l’autre bout du département, exceptionnellement Madame Maest décide de solliciter un collègue du dispositif des familles d’accueil d’urgence qui, bien que n’étant pas d’astreinte, va répondre positivement à sa demande.
11h25 : arrivée au commissariat. Les parents d’Anton sont assis dans la salle d’attente, encore sous le choc des révélations qui leur ont été faites par l’officier de police. En nous voyant, la maman se précipite et prend son fils dans ses bras. « C’est vrai ce que la police nous a dit ? Nous on ne le savait pas, on avait confiance en lui. Pardonne-nous ».
12h03 : Anton repart avec ses parents. J’informe la cadre d’astreinte que le départ a été mouvementé mais que tout est Ok.
12h19  : je suis en salle de pause au commissariat et me fait offrir un café avant de reprendre la route.
13h45 : pile à l’heure pour mon rendez-vous à la gendarmerie, où dans le cadre de la fugue de Laura je suis auditionnée. « Procès-verbal - PV n°00256/2018/00 - Affaire C/XXXX Laura - Fugue de mineur… »
15h28 : retour à la maison.

Dimanche 15 avril 2018

14h31  : je suis chez des amis, quand je reçois un appel de la gendarmerie. Plus rien ne va ! Une plainte vient d’être déposée à l’encontre de Laura et de sa famille. Les faits révélés sont préoccupants. Alors, sans attendre, je joins la cadre d’astreinte et lui fait part de la situation. Nous nous accordons pour rappeler respectivement Laura et sa maman afin d’essayer d’en savoir un peu plus et également pour leur rappeler l’importance de leurs présence le lendemain au tribunal, où elles sont convoquées par la juge des enfants.
19h09  : mon portable sonne (décidément, ce week-end d’astreinte ne va jamais se finir !). Madame Maest me sollicite pour une nouvelle situation d’accueil. Gérald, un jeune garçon de 16 ans, en fugue de son foyer depuis une dizaine de jours a été interpellé par la police. Il a été auditionné et m’attend au commissariat. Madame Maest me dit qu’elle a pu contacter les éducateurs du foyer et que ceux-ci se sont montrés soucieux, du fait que l’adolescent atteint de schizophrénie est parti sans son traitement médial et qu’il peut se montrer extrêmement violent. Elle me demande de la tenir informée et de ne pas hésiter à la rappeler.
19h45 : je me présente au commissariat (un que je n’ai pas encore eu la chance de pratiquer au cours de ce week-end d’astreinte) et avant de rencontrer Gérald, les policiers me reçoivent dans leur bureau pour un briefing sur les antécédents judicaires du jeune garçon : actes délictueux, fugues à répétitions, condamnations pénales, vols, agressions… « Bonjour, je m’appelle Véronique et je vais t’accueillir chez moi ». Après dix jours dépourvus d’hygiène et de soins, dix jours de carence alimentaire et de manque de sommeil, dix jours d’errance et de vagabondage… Gérald est dans un état déplorable autant physiquement que psychologiquement.
20h35 : retour à la maison. Je donne des vêtements propres à Gérald et, pendant qu’il se douche, je fais tourner une machine avec toutes ses affaires, chaussures comprises.
20h50 : l’état des lieux de ses pieds est catastrophique. Je fais ce que je peux, du mieux que je peux, pour soigner et panser ce qui peut l’être.
21h08 : j’attrape une paire de draps et nous faisons son lit.
21h17 : à table. Après dix jours de privations, Gérald engouffre une quantité impressionnante d’aliments.
21h45 : Gérald tombe de fatigue et s’écroule dans son lit.
22h00 : j’envoie un petit mail récapitulatif à la cadre d’astreinte et lui souhaite une bonne nuit, en espérant ne pas avoir à nous rappeler.

Lundi 16 avril 2018

10h00
 : la garde d’astreinte m’est levée. C’est un collègue du dispositif des familles d’accueil d’urgence qui prend le relais de l’astreinte pour la semaine à venir.
10h10 : il ne me reste plus qu’à organiser avec les équipes éducatives pluridisciplinaires la suite des accueils en cours de Laura et de Gérald… l
« Mes enfants et ceux des autres... » Véronique Tivoli,
Éd. Baudelaire, 2021, (296 p. – 18 €) voir rubrique Livre