N° 1260 | Le 29 octobre 2019 | Critiques de livres (accès libre)

Tu verras maman, tu seras bien

Jean Arcelin


Éd. XO, 2019 (520 p. – 19,90 €)

Thème : Personne âgée

Le coût des vieux

Diplômé d’une école de commerce, Jean Arcelin décide de changer de métier. Passionné depuis toujours par les voitures et sa grand-mère, il a satisfait sa première ambition comme gérant d’une concession de véhicules de luxe. Pour la seconde, le voilà, à 43 ans, qui postule comme directeur d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) avec pour seule expérience l’animation de plusieurs noëls dans une maison de retraite. L’envers du décor lui est totalement inconnu. Dès les premiers entretiens d’embauche dans le secteur médico-social à but lucratif, le ton est donné : d’humain, on n’en parle jamais. On attend de lui rationalité, déni et cynisme pour répondre à l’objectif central de la « silver economy » : verser des dividendes aux actionnaires sur le dos des personnes vulnérables. Il doit rentabiliser son entreprise, gagner des parts de marché, mener des négociations serrées avec les instances publiques, se montrer efficace et convaincant dans le marketing et la prospection commerciale, atteindre des objectifs budgétaires…
Sa première préoccupation devra être de veiller au taux d’occupation des lits. Dès qu’une mort survient, il faut au plus vite louer à nouveau la chambre. Et il peut parfois y avoir jusqu’à dix décès en une semaine. Des économies, il faut en faire partout : quatre protections fournies au lieu de six en cas d’énurésie. Prévoir dix minutes au lieu des vingt nécessaires pour nourrir correctement les personnes trop dépendantes. Sans oublier l’alimentaire : remplacer l’eau en bouteille par l’eau du robinet, la baguette fraîche par du pain surgelé, les yaourts aux fruits frais par des compotes. Le budget du petit déjeuner, du déjeuner, du goûter, du dîner et d’une collation au coucher ne doit pas dépasser 4,35 € ! Le personnel en sous-effectif doit parfois assurer jusqu’à douze ou treize toilettes à la suite. Même si, comme partout ailleurs, on y trouve aussi une proportion d’imbéciles, ces petites mains nourricières sont admirables et modestes, offrant leur énergie et leur bienveillance, leur sourire et leur abnégation, pour nettoyer les corps souillés et écouter les cerveaux blessés. Mais découragées, déconsidérées et maltraitées, les équipes s’épuisent, impuissantes face à la déshumanisation qu’elles subissent.
Jean Arcelin s’était pourtant promis d’aller jusqu’au bout. Après s’être tant investi pour tenter de changer le système de l’intérieur, il a démissionné. Il laisse ce témoignage terrible et salutaire.

Jacques Trémintin


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