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Par Marie Cassagnes Breidenbach, formatrice-consultante, doctorante en sciences de l’éducation et de la formation et Francis Faye, coordinateur MNA.

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Le projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration voté au Sénat en novembre 2023, sera débattu à l’Assemblée nationale en décembre 2023.
Dans le cadre de cette tribune, nous nous intéresserons plus particulièrement à son article 12bis qui vise à restreindre l’application de la loi Taquet aux mineurs non accompagnés « faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français ».
Cette disposition qui entend modifier le 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles initie de nouveaux paradoxes qui ne sont pas sans interroger la place et le regard portés sur ces enfants en situation d’exil.

La législation européenne (1), en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant (2) donne un certain nombre de repères aux Etats-membres pour organiser l’accueil des enfants se déclarant Mineurs non accompagnés (MNA). En France, l’article 375 du Code civil, emblématique de la protection de l’enfance, permet, à ces enfants en situation d’exil d’être confiés, au titre de l’assistance éducative, à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Les Départements financent ainsi leur protection, obligation qui soulève de vives tensions entre des logiques financières et politiques et les enjeux relatifs à l’enfance en danger (3). Ajoutons que ces tensions prennent place au cœur de la crise que traverse actuellement le champ de la protection de l’enfance et qui rend, aujourd’hui, nécessaire des réformes structurelles dans le cadre d’un plan Marshall pour la protection de l’enfance (4).

Des mesures discriminatoires
Dans les faits, les MNA semblent cristalliser les incertitudes qui pèsent sur la protection de l’enfance et les travailleurs sociaux font, au quotidien, le constat d’une série de mesures restrictives et discriminatoires, qui prennent forme dans un processus de différenciation (5). Ainsi, les modalités de prise en charge des MNA diffèrent de celles des jeunes « locaux » tant dans les budgets alloués aux établissements pour les accueillir que dans les modalités d’accompagnement déployées. Dès lors, avec des « prix de journée » souvent inférieurs de plus de moitié, les accueils en hébergement diffus deviennent une norme d’intervention. La logique de gestion des « flux et des stocks » (6) rend finalement compte d’une opérationnalisation des politiques publiques souvent peu adaptée aux besoins des jeunes accueillis.
Si l’État n’a, pour l’heure, pas impulsé de soutien financier aux Départements pour améliorer la protection et l’accompagnement des jeunes confiés à l’ASE, il a initié le 7 février 2022, avec la « loi Taquet », un renforcement de la protection accordée aux jeunes majeurs. Un décret paru le 5 août 2022 pose ainsi l’obligation pour les départements d’accompagner les jeunes pris en charge par l’ASE jusqu’à leurs 21 ans si les conditions de leur autonomie ne sont pas remplies.
L’on constate cependant que dans certains départements, des jeunes accueillis en tant que « MNA » et soumis à une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) se voient refuser leur demande de renouvellement de contrat jeune majeur et ce, sans avoir pu faire valoir leur droit d’interjeter appel auprès des tribunaux administratifs compétents voire de formuler un recours auprès des cours d’appel en cas de confirmation du tribunal administratif. Par conséquent, plusieurs décisions rendues en Conseil d’Etat (7) ont rappelé que les MNA faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire bénéficient aussi des dispositions de la loi Taquet qui leur assurent une protection jusqu’à leurs 21 ans.

Projet de loi et article 12bis
Ces décisions ont conduit, le Sénat, dans le cadre du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration au travers de l’article 12bis, à proposer, qu’en cas de délivrance par la Préfecture d’une OQTF, le jeune ne puisse plus accéder à un contrat jeune majeur car cela placerait « les départements dans une situation paradoxale où ils doivent agir pour l’insertion de personnes qui ont vocation à être éloignées » (8). L’arrêt de la mesure d’assistance éducative aurait pourtant pour effet une précarisation accrue des parcours et ce, avant même de garantir l’effectivité de l’ensemble des droits : d’une part, la possibilité de bénéficier de la protection à laquelle il a droit en tant que jeune majeur ayant été pris en charge par la protection de l’enfance et, d’autre part, de pouvoir interjeter appel auprès du tribunal administratif compétent pour faire valoir son droit au séjour (9).

Hostilité à l’égard de l’accueil des étrangers
Finalement, ces paradoxes permettent de s’interroger sur la primauté de l’une ou l’autre des catégorisations juridiques qui caractérisent les MNA (mineurs ou étrangers) tout en soulevant le problème de la primauté et de l’articulation de ces différentes catégories (10) qui impactent les conditions d’accès aux droits, notamment lorsque le jeune devient majeur.
L’inconditionnalité de l’accueil de ces enfants devenus majeurs s’avère, de fait, remise en question par le Droit et amène des questionnements éthiques sur une inconditionnalité désormais conditionnelle (11) Pour le dire autrement, « la fragilité de l’enfant vient s’unir à sa non-désirabilité en tant que personne étrangère » (12)
En ce sens, le néologisme d’hostipitalité posé en 1997 par Derrida et Dufourmantelle nous renseigne sur les paradoxes d’un accompagnement socioéducatif qui respecte les enjeux éthiques et déontologiques du travail social, et qui trouve ses limites dans des déclinaisons politiques qui soutiennent l’hostilité de la société à l’égard de l’accueil des étrangers.
Le repérage de ces contradictions révèle finalement la complexité de l’accueil des MNA dans le champ de la protection de l’enfance et invite à une réflexion dialogique, qui se ne réduit pas à des oppositions idéologiques et financières porteuses d’exclusion sociale.

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(1) Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 (article 2) (2) https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Conv_Droit_Enfant.pdf (3) Guimberteau, M. (2022). Les mineurs non accompagnés  : Étrangers avant d’être enfants ? Mémoires, 82(1), 10 11. https://doi.org/10.3917/mem.082.0010 (4) https://onpe.gouv.fr/system/files/base_documentaire/plan-marshall-pour-la-protection-de-l-enfance-priorit-s-d-action-181023.pdf (5) Przybyl, S. (2019). Qui veut encore protéger les mineurs non accompagnés en France  ? De l’accueil inconditionnel d’enfants en danger à la sous-traitance du contrôle d’étrangers indésirables. Lien social et Politiques, 83, 58 81. https://doi.org/10.7202/1066084ar (6) Bonne, B. (2023). Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance (837). Sénat. www.infomie.net/IMG/pdf/r22-8371.pdf (7) https://www-enfancejeunesseinfos-fr.cdn.ampproject.org/c/s/www.enfancejeunesseinfos.fr/contrat-jeune-majeur-le-conseil-d-etat-consacre-une-nouvelle-liberte-fondamentale/amp/ (8) www.senat.fr/rap/l22-433/l22-433_mono.html#toc99 (9) Article L. 423-22 et L.432-3 du CESEDA (10) Etiemble, A. (2002). Les mineurs isolés étrangers en France. Evaluation quantitative de la population accueillie à l’Aide Sociale à l’Enfance. Les termes de l’accueil et de la prise en charge (Quest’us). (11) Caillé, A. (2007). De l’idée d’inconditionnalité conditionnelle. In Anthropologie du don (p. 93 120). La Découverte. (12) Hernandez, D. S. (2023). Être Mineur non accompagné en Europe  : Normes et impact de leur application. In S. Gaultier, A. Yahyaoui, P. Benghozi, & T. Baubet, Mineurs non accompagnés  : Repères pour une psychosociologie transculturelle (p. 31 54). Editions in press.

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Photographie : © Ververidis Vasilis / deposit

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