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📝 Tribulations d’une assistante sociale de rue ‱ Fracas

Elle est jeune. Elle rencontre l’équipe Ă©ducative alors qu’elle a 17 ans, qu’elle a quittĂ© le domicile maternel en province et qu’elle a dĂ©cidĂ© de vivre Ă  la rue. Elle cherche l’expĂ©rimentation, tant sur les prises de risques, les prises de toxiques que sur les (tentatives de) prise(s) d’autonomie.
Elle est dĂ©crite nĂ©gativement par les professionnels de l’Aide sociale Ă  l’enfance (ASE) qui ont suivi ses diffĂ©rents placements et retours Ă  domicile. Sa mĂšre ne bĂ©nĂ©ficie pas d’une meilleure description puisqu’un seul mot la condamne : toxico.
Elle est volubile, parfois joyeuse, parfois triste et, telle une actrice entraĂźnĂ©e, prĂ©sente plusieurs visages dĂ©monstratifs Ă  ceux qu’elle oblige Ă  devenir tĂ©moins de ses vagues Ă  l’ñme.
EngluĂ©e dans sa minoritĂ©, elle grognait frĂ©quemment contre cet Ă©tat qui l’empĂȘchait d’accĂ©der Ă  des envies et des dĂ©sirs immĂ©diats. Son jeu prĂ©fĂ©rĂ© a longtemps Ă©tĂ© celui du chat et de la souris : elle obligeait les forces de l’ordre Ă  la poursuivre, l’emmener au poste, puis l’accompagner dans un foyer d’urgence oĂč elle prenait le temps de fumer une cigarette avec l’éducateur prĂ©sent, avant de fuir Ă  nouveau ce lieu institutionnel.
Elle a rĂ©cemment atteint la majoritĂ©. Elle est de ces adultes qui sont encore enfants quand leur psychisme semble dĂ©nuĂ© de composants structurants. Son Ă©tat ne saurait ĂȘtre dĂ©crit toutefois son corps, quant Ă  lui, est criant de prĂ©sence alors qu’il paraĂźt ĂȘtre le cadet de ses soucis.
Prise dans les addictions comme elle est, elle oblige Ă  l’urgence. Elle convoque donc une mobilisation, du contenant, du solide autour d’elle, dans l’ici et le maintenant, obligeant les travailleurs sociaux Ă  lui apporter une rĂ©ponse concrĂšte Ă  une Ă©mulsion de demande. Pourtant, dĂšs que le sujet lui devient trop rĂ©el, elle quitte l’entretien, en trombe, pour vomir ou pour insulter les personnes qui la reçoivent. Le concret semble alors devenir persĂ©cutant et/ou inaudible pour elle.
Peu importe la fonction occupĂ©e par le travailleur social, elle brouille celle-ci en gĂ©nĂ©rant, chez ce dernier, un sentiment urgent de mise Ă  l’abri. NĂ©anmoins, aucun des professionnels n’est en capacitĂ© de comprendre Ă  l’abri de quoi il est nĂ©cessaire de la mettre.
Elle aborde l’hĂ©bergement. Elle a un chien – prĂ©sentant des similitudes avec les loups –, refusant toute proposition d’accueil sans lui. Ici, la fonction du chien, chez elle, peut Ă©galement ĂȘtre interrogĂ©e – au-delĂ  de la protection qu’il lui apporterait dans la rue –. Enfin, l’hĂ©bergement, il le lui faut immĂ©diatement et dans les conditions qu’elle impose, sinon elle menace au suicide. Lorsqu’un travail sur cette question est rĂ©ellement Ă©voquĂ©, avec toutes les implications qui lui sont induites, elle fuit. L’hĂ©bergement et/ou sa destruction n’est/ne sont donc pas sa question. Elle-mĂȘme semble avoir des difficultĂ©s Ă  situer sa demande.

En tant que professionnel, comment absorber ce fracas pour le dĂ©caler et, ainsi, parvenir Ă  une parole qui lui appartienne pleinement ?


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