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📝 Tranche d’éduc’ ‱ Sortir des murs

Il vient de rentrer de la maison des fous comme s’amuse Ă  l’appeler « l’autre », son frĂšre.
Il a sept ans et ses trois derniĂšres semaines se sont passĂ©es entre les quatre murs de cet hĂŽpital, de cet immense complexe immobilier dĂ©diĂ© Ă  la psychiatrie. Mais, privilĂšge de l’enfance oblige, il bĂ©nĂ©ficiait d’une aile adaptĂ©e. Un peu plus colorĂ©e, un poil plus arborĂ©e, un tantinet plus ouverte sur l’extĂ©rieur, un soupçon de libertĂ© en plus. Les barreaux n’ornaient pas ses fenĂȘtres, il n’était pas nĂ©cessaire de prendre tant de prĂ©cautions. Sa fenĂȘtre sur cour Ă©tait condamnĂ©e Ă  ne faire entrer qu’un peu de lumiĂšre sans aucun brin d’air. Et, la vitre qui, d’ordinaire se briserait sous les coups d’objets imposants, ne risquait pas de tomber, les deux seuls meubles qui ornaient la chambre Ă©taient scellĂ©s au sol.
Mais sa chambre, il l’a aimĂ© au premier coup d’Ɠil. Ce lit vide, austĂšre et peu accueillant, il s’y est jetĂ© dĂšs la premiĂšre minute. La chaise clouĂ©e au sol a immĂ©diatement accueilli son petit sac Ă  dos qu’il a mĂȘme dĂ©licatement ouvert pour en sortir son playmobile et son doudou. L’un a fini au sol, l’autre au lit. Et, lui, m’a demandĂ© d’immortaliser ce moment « tu peux me prendre en photo ? ».
Sa valise ? Il m’a demandĂ© de la lĂącher au sol et il s’est prĂ©cipitĂ© dans la salle commune se ruant sur les jeux « on verra aprĂšs pour mes beaux habits, viens on va jouer ». Il ne le sait pas, mais je n’ai pas la clĂ© pour installer ses affaires dans le placard fermĂ© Ă  double tour, alors il finira son installation avec les infirmiĂšres.
Il nous a fallu deux heures trente de voiture pour arriver en ce lieu. L’excitation Ă©tait insoutenable pour lui, au dĂ©part du foyer. Il secouait son frĂšre ne sachant comment dire au revoir, ne pouvant verbaliser ses Ă©motions, ne sachant quand et si son retour arriverait. Il posait des tas de questions sur le parvis du foyer avec un sourire figĂ© sur le visage. DĂšs lors que nous avons quittĂ© le parking, un silence assourdissant remplit la voiture et ce pour les prochaines heures. Nos quelques Ă©changes de regards dans le rĂ©troviseur se soldaient par une rĂ©ponse enjouĂ©e, soulignĂ©e par un sourire convenu, qui disparaissait aussitĂŽt mes yeux dĂ©tournĂ©s. Lui, d’ordinaire agitĂ©, est restĂ© assis sans bouger tout du long. Face au portail d’entrĂ©e il a enfin parlĂ©, demandant si nous Ă©tions arrivĂ©s. Pourtant il connaissait, il reconnaissait ce lieu que nous avions visitĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente. Mais il comprenait Ă  quel point cet aller serait sans retour immĂ©diat, alors il fallait combler le vide et demander.
Face Ă  l’équipe soignante, il revĂȘtit son plus beau sourire. Ce mĂȘme sourire qu’il m’adressait quelques minutes avant dans le rĂ©troviseur distanciant le rĂ©el des Ă©motions. Dos Ă  la porte d’entrĂ©e, il se mit Ă  faire des allers retours entre ce connu que je reprĂ©sentais et cet espace qui s’ouvrait Ă  lui. Puis je dus partir et c’est d’un revers de main accompagnĂ© d’un « Ă  demain, tu penseras Ă  moi au pĂ©age », que j’ai pris la porte. J’ai bien sĂ»r pensĂ© Ă  lui en traversant les quatre stations de pĂ©age, jetant un Ɠil au rĂ©troviseur qui ne reflĂ©tait dĂ©sormais que mon regard. J’ai aussi pensĂ© Ă  lui ce lendemain qu’il pensait ĂȘtre un jour de retrouvailles, mais qui n’était en rĂ©alitĂ© que le dĂ©but de ce sĂ©jour long, trĂšs long, peut-ĂȘtre trop long.
De grands Ă©vĂšnements se sont dĂ©roulĂ©s au foyer, en son absence. Il m’a fallu les lui annoncer, les lui expliquer lors de nos contacts tĂ©lĂ©phoniques. Puis, nous nous sommes revus. Lui, moi et « cet autre », son frĂšre, son petit frĂšre de cinq ans. Et ce samedi, sous le signe des retrouvailles, oĂč le petit rendait visite au grand, fut une belle journĂ©e.
Journée à la ferme.
Face Ă  ces animaux, le grand garçon prit son rĂŽle Ă  cƓur, il initiait son petit frĂšre aux risques de la ferme. PrĂ©venant, patient, rassurant, il n’avait jamais montrĂ© un intĂ©rĂȘt si bienveillant Ă  ce petit frĂšre objet de toute sa colĂšre, rĂ©ceptacle de toute sa violence, figure d’attachement tant dĂ©testĂ©e. Quel grand moment ! Il s’est finalement soldĂ© par une alliance oĂč ces deux bonhommes se sont liguĂ©s, tels des pirates, contre ces adultes qui parlaient d’eux lors du relais institutionnel. Ce temps de passation d’informations marquait les au revoir. Ils furent dĂ©chirants. Le petit frĂšre s’est empĂȘchĂ© de dormir sur le chemin du retour et s’est finalement effondrĂ© dans mes bras lorsque nous avons franchi la porte du foyer.
La semaine suivante sonne l’heure de la fin d’hospitalisation.
Trois semaines se sont écoulées et ses murs, son lit, sa chaise lui deviennent désormais insupportables. Il lui faut rentrer, revenir à sa vie quotidienne.
Je passe le pas de la porte. Il m’attend, valise Ă  ses pieds, petit jeans, jolie chemise, lunette de soleil dĂ©jĂ  sur le nez, casquette sur la tĂȘte, sac Ă  dos sur les Ă©paules, il est prĂȘt. Il accepte que nous fassions tous ensemble le point sur ce sĂ©jour. Il s’accroche Ă  mon cou et m’appelle au dĂ©part tout en se plongeant dans les yeux de l’infirmiĂšre, en absorbant les mots du mĂ©decin, en balayant la piĂšce du regard s’attardant sur les moindres dĂ©tails. Ses derniers mots en ces lieux se sont adressĂ©s au mĂ©decin, il avait besoin de parler, ici, de son petit frĂšre qui fut un jour passĂ© entre ces murs bien furtivement. « L’autre aussi il va venir ici, Ă  la maison des fous comme moi ?! Moi ça m’a fait du bien, maintenant c’est Ă  son tour, il va guĂ©rir lui aussi ». Mais non, lui, n’ira pas. Ils sont frĂšres, mais bien diffĂ©rents, mais ça
 il ne le sait pas encore.