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📝 Tranche d’éduc’ ‱ Inconnu au quotidien

Il est de ces enfants Ă  pousser les adultes dans leur retranchement Ă©thique. Il a huit ans et questionne son monde. Nous sommes une partie de son univers et ses questions bien que lĂ©gitimes et terriblement pertinentes sont dĂ©routantes. Il remet en cause nos pratiques Ă©ducatives ; est en demande constante d’explications, d’arguments, de rĂ©ponses ; il pointe du doigt nos limites et nomme nos dysfonctionnements. Cet enfant a soif de justice, d’apprendre et de vie. Il vient souvent bousculer notre Ă©quilibre professionnel. Son histoire est rythmĂ©e par des conflits culturels. Les injonctions paradoxales oĂč la violence est acceptĂ©e, mĂȘme recommandĂ©e dans sa culture natale quand ici elle est prohibĂ©e et synonyme de sĂ©paration familiale, sont son quotidien depuis toujours. Il lutte pour comprendre le monde des adultes qu’il sait lui ĂȘtre inaccessible, sans pour autant que ce soit un frein. « Je sais que je suis un enfant et que je ne peux pas tout comprendre, mais un jour je serais un adulte et je saurais. » Mais lorsque les limites de comprĂ©hension sont atteintes, malgrĂ© ses multiples investigations, il ne peut plus contenir son sentiment d’injustice, sa frustration, sa colĂšre. Il fait une crise et revendique son besoin de prendre l’air. Seul.
Mais ce jour il vient me chercher. Il est en dĂ©saccord avec une autre Ă©ducatrice, il a besoin d’un mĂ©diateur. Il s’est lancĂ© dans un grand projet. Aujourd’hui, c’est confection de robe pour lui, mais tout le monde n’est pas du mĂȘme avis. Son ambition est rythmĂ©e par le matĂ©riel Ă  sa disposition, son drap de lit et les pinces Ă  linge du jardin sont ses outils de travail. Mais cet Ă©lan fut stoppĂ© par la collĂšgue qui a dĂ©crĂ©tĂ© que les pinces devaient rester sur l’étendage. Il crie Ă  l’injustice, lui qui ne se contente que de pinces Ă  linge pour jouer pourquoi les lui enlĂšve-t-on ? Telle est sa revendication. Il a besoin de sa soupape. Il vient me trouver pour dĂ©verser sa colĂšre et accaparer mon oreille, espĂ©rant une main tendue pour sa prochaine rĂ©solution de conflit. Il me verbalise son besoin d’aide et sa crainte de reprĂ©sailles s’il ose tenir tĂȘte Ă  cette personne. Je ne peux ignorer ses demandes, un Ă©change Ă  cƓur ouvert s’ouvre alors. C’est seulement aprĂšs cette longue discussion qu’il retrouve son calme. Il est prĂȘt Ă  entamer le dialogue avec la dite Ă©ducatrice et tenter de trouver un terrain d’accord acceptant de peut-ĂȘtre devoir abandonner son projet. Il conclut cet interlude, avec son regard qu’on lui connaĂźt bien, rempli d’innocence et d’une pointe d’espiĂšglerie, en une phrase qui aurait pu relancer le dĂ©bat mais qui d’un sourire attendri trouva rĂ©ponse : « Mais pourquoi toi tu connais toute ma vie et on doit tout le temps en parler alors que moi je ne sais rien de toi ? » Cette phrase, bien que hors propos dans cette histoire de pinces Ă  linge, vient Ă  nouveau percuter toutes les notions Ă©ducatives que l’on connaĂźt. Si lui repart dans sa quĂȘte de robe Ă  la confection artisanale, il me laisse avec ses interrogations Ă  porter en Ă©quipe.