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📝 Tranche d’éduc’ ‱ Ensemble c’est tout

Ils l’attendaient cette visite. La derniĂšre de l’annĂ©e.
Ils sont quatre mais ce jour ils ne seront que trois. Deux grands frĂšres font aussi partie de cette famille. L’un existe au bout du fil, l’autre est prĂ©sent une fois par mois.
Ce vendredi vient clĂŽturer plusieurs mois de remise en lien.
D’abord tumultueuses, ces retrouvailles Ă©taient dĂ©sorganisĂ©es, agitĂ©es. Les discussions maladroites, les agissements hĂ©sitants, l’adulte indispensable, le temps raccourci et les Ă©motions mises Ă  rude Ă©preuve. Ces rencontres provoquaient pleurs, cris, mouvements et tensions. Petit Ă  petit les places se sont redĂ©finies, les rĂŽles de chacun dans la fratrie se sont affirmĂ©s, les intentions et Ă©motions se sont verbalisĂ©es, les caractĂšres se sont dĂ©finis et la relation s’est rĂ©installĂ©e.
D’abord effectuĂ©es en intĂ©rieurs, ces rencontres entre les murs ont permis de contenir la relation, de cadrer l’espace-temps, de dĂ©finir une sĂ©curitĂ© symbolique, mais peu Ă  peu ils sont devenus Ă©touffants. Chacun avait besoin d’espace pour s’exprimer.
Les murs ne suffisaient plus, ils contraignaient ces corps et esprits Ă  se cantonner aux possibles du dedans au lieu de leur permettre d’exprimer leur potentialitĂ© Ă  l’extĂ©rieur. Les murs se sont alors Ă©largis aux baies vitrĂ©es, le jeu de l’ouverture est devenu possible. Ils peuvent maintenant se saisir de l’extĂ©rieur pour faire corps, pour faire famille.
Ce petit monde s’organisait petit Ă  petit sous nos yeux en retrait. Nous sommes deux, prĂ©sentes mais distantes, lĂ  pour rĂ©ceptionner les petits corps avachis, pour accueillir les questionnements symboliques, pour relancer les dynamiques, pour timer ces instants. On s’efface mais ils nous rattrapent sans cesse. Besoin de rĂ©assurance, besoin d’individualitĂ© dans ce groupe en mouvement, besoin de sĂ©curitĂ© sur ce temps suspendu, besoin de faire des allers retours entre leur quotidien coupĂ© du grand et cet instant en sa prĂ©sence.
Des rituels se mettent en place.
L’avant est important Ă  prĂ©parer. DĂšs le rĂ©veil, ils savent que c’est aujourd’hui. Ils se placent dans l’attente de ce moment tant espĂ©rĂ©. L’angoisse de l’abandon, l’apprĂ©hension de la rencontre, le frĂ©missement de l’affect en jeu, la joie des retrouvailles, la surprise du programme, l’incertitude du bon dĂ©roulĂ©, la peur de l’aprĂšs, nos quatre petites tĂȘtes doivent faire face Ă  un tsunami Ă©motionnel qui les traverse depuis la veille jusqu’à l’heure dite. Les secondes leur semblent des heures, chaque bruit de voiture retient les respirations, chaque appel provoque un silence, ils se tiennent prĂȘt. Et le grand frĂšre, ce grand frĂšre arrive.
Souvent les effusions sont bruyantes et intenses mais brĂšves et mouvementĂ©es. L’émulation retombe et chacun reprend sa place. Les attentes se remplissent, le cours de l’heure se dĂ©roule.
Aujourd’hui Ă©tait particulier. De nouveaux comportements sont apparus, une nouvelle dynamique s’est mise en place. Ils ont pu partager des moments complices en groupe, ils ont Ă©galement rĂ©ussi Ă  passer des moments seuls. Ils se sont ennuyĂ©s aussi, partageant mĂȘme ce moment. Tous allongĂ©s les uns contre les autres, pendant que certain s’occupaient tranquillement avec des cartes ou des brins d’herbes posĂ©s lĂ , les autres fermaient les yeux se laissant bercer par le moment. Ils ont aussi vaquĂ© Ă  leurs occupations personnelles tour Ă  tour, le temps d’un instant. Ils se sont autorisĂ©s Ă  partager de l’ensemble et du sĂ©parĂ©ment jusqu’au rituel de fin.
Il a fait violence Ă  sa mise en place mais il est demandĂ© aujourd’hui.
Il est lĂ  pour faire lien en l’absence, pour figer le souvenir, pour soutenir l’émotion vacillante. Mais il vient titiller l’image de soi, il demande un investissement de mise en scĂšne familiale, il demande de l’immobilitĂ© sur un temps en mouvement, il demande de feindre un sentiment positif clair quand le bouleversent Ă©motionnel est envahissant, il rappelle une sĂ©paration imminente. Le ouistiti est forcĂ© mais le clap est toujours rĂ©ussi. Chacun garde un bout de l’autre dans l’aprĂšs. La photo de fin est devenue importante pour tous mĂȘme si elle demande un entrainement extĂ©rieur pour la faire exister. Elle prĂ©pare Ă  l’au revoir.
Et ce jour-lĂ  fut particulier. Ce dernier bisou qui se fait d’ordinaire dans les larmes, les cris et les fuites fut transformĂ© ce vendredi en belles embrassades, jolis mots de soutien et grands sourires. Et pourtant.
Pourtant c’Ă©tait la derniĂšre fois qu’on le voyait ce grand frĂšre avant deux longs mois. Mais ils Ă©taient prĂȘts, ils savaient.
Sur le chemin du retour, mademoiselle est venue ponctuer cette belle journĂ©e : « vous pouvez me dire bravo, j’ai pas fait le boudin aujourd’hui.  » Elle a quatre ans et lĂąche cette petite phrase au moment mĂȘme oĂč sa tĂȘte flanche sur l’épaule de sa sƓur. Et voilĂ  que les six petits yeux derriĂšre moi se ferment doucement. Elle rouvre un Ɠil : « tu m’as dit Bravo ? j’ai pas entendu » avant de le refermer jusqu’au prochain arrĂȘt qui clĂŽturera dĂ©finitivement cette annĂ©e de rencontres.
La rentrée promet de beaux moments.