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TRIBUNE : "Que vont nos métiers devenir ?"

Par Véronique Jacquet (FNEJE), Christine Sovrano (CGT), Gabrielle Garrigue (Avenir Éducs)

Les métiers du travail social sont en résistance. La dernière Commission paritaire consultative (CPC) chargée de la refonte des diplômes aura lieu le 15 décembre. Trois participantes à la réflexion – minoritaires – pensent que tout est à craindre.

La formation et la qualification représentent un levier pour les pouvoirs publics dans la course à la réduction du déficit public. Véritable cheval de Troie investi allègrement par les employeurs (publics et privés) de notre secteur : les métiers, aujourd’hui construits en compétences, sont ainsi révisés, uniformisés entre eux, créant un processus de déqualification et permettant les glissements et la polyvalence des tâches, participant alors à la perte de sens du travail vécus par les professionnels (1).
D’ailleurs, en 2007 le virage d’une certification validant des compétences, appauvrit la richesse et la réalité des métiers, redéfinit les fonctions, brouillant alors les spécificités des différents métiers de la relation, les passerelles entre ces derniers venant renforcer ce processus.

Restructuration, taylorisation

La transformation de ces métiers et la formation concomitante sont un formidable outil de restructuration du secteur. Les métiers de la santé et du secteur éducatif et social ont subi de nombreuses mutations sous des auspices de « reconnaissance » ou « d’adaptation » de notre champ d’intervention. Révisés pour intégrer les normes européennes, mais également au regard de l’évolution du marché du travail et des politiques publiques, ils sont découpés et mixés, passés à la moulinette de la « modernisation », semestrialisés (2) dans un but de « performance » « d’efficience, d’attractivité » d’après leurs instigateurs !
À l’heure où coopération rime avec mutualisation des moyens et où la modernisation sert à masquer la gestion de la pénurie, certains n’hésitant pas à parler de nécessaire taylorisation du travail social.

Florilège de fonctions

Concrètement passant d’une logique de métier à celle d’emploi, l’objectif des réformes vise à la flexibilisation des salariés, à leur interchangeabilité. Dans ce sens, la simplification des diplômes, l’ouverture du champ à d’autres professionnels, la définition d’un florilège de nouvelles fonctions correspondant à des postes de travail : chargés de mission, chefs de projet, coordinateurs…
Quelle ingéniosité de la part des pourfendeurs de nos métiers et de nos professions ! Inutile de préciser qu’il n’y a aucune reconnaissance dans les rémunérations ou les statuts, l’objectif de ces nouveaux diplômes, mentions complémentaires ou spécialisations et autres titres « ronflants » visant l’adaptation à l’emploi et la diminution du coût du travail.

Socle commun, culture commune ?

Dérégulation, déréglementation, foire à la compétence, le métier a fait long feu, mais n’est plus la référence des employeurs et des gestionnaires alors qu’il représente un sésame concernant la mobilité et la promotion professionnelle, pour les personnels (3).
Depuis l’automne 2016, la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale - CPC - révise actuellement les métiers du social qui passent au grade de licence (accolement au grade de licence) : assistant·e de service social, éducateur·trice spécialisé·e, éducateur·trice technique spécialisé·e, conseiller·ère en économie sociale et familiale, éducateur·trice de jeunes enfants.
Ce travail s’est mis en place dans un contexte de vifs débats où les premiers travaux de la CPC lancés en 2013 ont été dénoncés rapidement par des professionnels de terrain, des syndicats , des organisations professionnelles et des collectifs (tels Avenir Éducs et Aformeje). Après avoir revu les définitions métiers et les référentiels activités et compétences dans des groupes de travail par métier, la phase actuelle des travaux s’attaque à l’épineux sujet du socle commun de compétences et de connaissances des cinq métiers. Ce socle commun est censé créer une culture commune du travail social chez les futurs professionnels et favoriser les liens de coopération, comme si la transversalité n’avait jamais existé dans les formations.

Identité professionnelle indéfinie

Depuis le début du travail engagé, les représentants des professionnels ne cessent d’alerter sur le manque de vision d’ensemble de la méthodologie utilisée. Comment la mise en forme générale va être effectuée et comment va être articulé le travail des différentes instances : tout cela n’est pas expliqué. Dans ce processus, les représentants des salariés tentent de ramener à tâtons l’essentiel des métiers alors même qu’ils sont peu nombreux dans les groupes métier et encore moins représentés lors des comités de coordination. Les formateurs connaissant les métiers et la formation qui s’y réfère sont pratiquement absents de ce travail de réingénierie. Or construire un socle commun est un non-sens si l’identité professionnelle n’est pas clairement définie.

Et la clinique ?

Les représentants des salariés, dans tous les groupes, se sont depuis le début opposés à ce que ces métiers soient dévoyés de leur sens au profit d’un renforcement d’une technicisation centrée sur la gestion de l’organisation centrée sur la coordination d’équipe, ce qui a semblé être entendu par le ministère. Les professionnels ont tenté de ramener la clinique comme l’essence des métiers, mais ce terme n’a par contre jamais été retenu dans les documents produits, au motif de la « méconnaissance du grand public ».
Concernant la dernière phase de travail, dont la précipitation bride les débats, la répartition des compétences dans un « socle commun aux cinq métiers » ou leur maintien en spécifique, propre au métier de référence, s’est effectuée dans le cadre de deux réunions au regard de la controverse suscitée. Mais un défaut de méthode est à souligner ainsi qu’une méconnaissance de que ce qu’est une compétence et de la façon de l’acquérir.
 C’est bien dans la confrontation au réel, dans l’exercice d’une pratique, en alternance que commence à se construire une professionnalité chez les étudiants. L’absence d’une méthodologie tenant compte de ces éléments vient remettre en question tout le travail effectué dans les groupes métiers. Les compétences sont une déclinaison des fonctions activités des différents référentiels et des définitions métiers et donc il faut les référer à ces dernières obligatoirement avant d’établir une quelconque comparaison.

Moratoire

Affirmer que les compétences et leurs indicateurs formulés de façon identique - ou relativement proches - ou que certains savoirs semblables, idoines et plutôt généralistes, fondent le « socle commun des compétences » sans tenir compte de la construction d’une professionnalité (4) forcément articulée à un public et aux problématiques des personnes accompagnées, constitue un biais méthodologique. En effet, c’est prendre le plus petit dénominateur commun de bout de chaîne que représentent les indicateurs - par ailleurs non exhaustifs - ou une partie des connaissances en les extrayant d’une quelconque réalité.
La question des métiers du travail social qualifiés, au plus proche de l’autre, participant d’un projet de société qui repose sur des principes d’égalité et de solidarité, en se déployant dans un secteur à but non lucratif, semble être une vision périmée pour ceux qui emportent les décisions en CPC.
La CGT a demandé un moratoire d’un an lors de la dernière CPC plénière pour réellement appréhender l’ouvrage sur le canevas, avec une mise en œuvre en septembre 2019, notamment au regard du report des revalorisations prévues dans le cadre du dispositif parcours professionnel carrières et rémunérations - PPCR - de la fonction publique et s’est vu opposer un refus sans motivation explicite. Si rien ne vient perturber le processus à l’œuvre, la CPC plénière devrait sceller les choses le 15 décembre prochain, pour une mise en œuvre en septembre 2018, à suivre évidemment…
Alors quels enjeux et motifs inavoués à travers cette réforme et cette marche forcée portée par les pouvoirs publics actuels sinon ceux que nous dénonçons depuis le début du processus ?


(1) Le processus de Bologne inscrit les diplômes post baccalauréat dans le système du LMD : Licence, Master, Doctorat ; le niveau Licence correspond à 180 ECTS.
(2) Pour les diplômes supra baccalauréat
(3) la compétence étant constituée de savoirs, savoir-être, savoir-faire ou "savoirs en action"
(4) cf. lettre de cadrage du 10 février 2016 de la secrétaire d’État à la CPC, à l’époque Mme Neuville.