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🎭 THÉÂTRE ‱ La danse orientale pour rĂ©concilier les femmes au corps meurtri

Le 3 fĂ©vrier, la chorĂ©graphe Emmanuelle Rigaud prĂ©sente le spectacle À corps retrouvĂ© au thĂ©Ăątre Jean Vilar Ă  Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Un excellent support pour des dĂ©bats sur les violences faites aux femmes.

Dans un solo, dont le texte a Ă©tĂ© Ă©crit par Penda Diouf, Emmanuelle Rigaud rend hommage aux hĂ©roĂŻnes de la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dans laquelle elle anime depuis deux ans des cours de danse orientale. CrĂ©Ă© 2016 par Ghada Hatem, gynĂ©cologue-obstĂ©tricienne, ce cocon adossĂ© Ă  l’hĂŽpital Delafontaine, abrite et accompagne des femmes victimes de traumas : violences conjugales, mutilations sexuelles, viols (1).

Souffle vital

L’artiste fait du plateau scĂ©nique un monde de poĂ©sie totale tournĂ© vers l’intime : les bĂąches de plastique au sol deviennent vĂȘtement, tente, colline, vagues, robe. Par ses dĂ©placements, ses postures et jeux du corps, elle nous prĂ©sente des femmes (jeune, ĂągĂ©e, pliĂ©e en deux). Elle initie le spectateur au souffle vital et au 8 infini du bassin qui ondule pour les relever, nous fait traverser en apnĂ©e un univers marin peuplĂ© de larmes. Entre diagonales, ondulations, de dos, de face, bondissante ou appuyĂ©e, elle dĂ©peint cette amazone qui se bat contre une mort ou encore cette femme Ă  la bouche cousue par sa grand-mĂšre, et celle qui prends la route de l’exil aprĂšs son excision au village.
Sa voix nous guide comme une torche qui sort de l’eau. La bande-son donne Ă  entendre du rĂ©cit, de la musique syncopĂ©e d’oud, de percussions, de sonnettes, de xylophone, sur laquelle, avec ceinture Ă  paillettes multicolores nouĂ©e sur le pantalon et brassiĂšre noire, elle emmĂšne le public dans l’énergie de l’exorcisme.
Une dĂ©monstration de respiration saccadĂ©e, dynamique, nous entraĂźne vers une transe proche de celles des derviches tourneurs. Le dĂ©foulement, l’hystĂ©rie, le tremblement de la danse convoquent la peur, reconnectent avec le sauvage. Le rire est appelĂ©, dans la nuit sombre, reliĂ© au gras du ventre qu’Emmanuelle Rigaud enseigne Ă  pĂ©trir, avec les doigts. Ce nombril de la naissance sait cicatriser les scarifications, les enfermements Ă  double tour des hommes violents.
Pour finir, la danse de la tĂȘte (Ă©gyptienne), chorĂ©graphiĂ©e dans l’espace des bras et mains pointĂ©es vers le ciel, fait retentir le cri de la libertĂ©.

Libération

« Ă€ chaque sĂ©ance, j’enlĂšve quelques points de suture », a confiĂ© une participante de la Maison des femmes Ă  Emmanuelle Rigaud Ă  la fin d’un atelier. La structure propose une prise en charge pluridisciplinaire de proximitĂ© avec un guichet unique. Une approche particuliĂšrement riche pour l’artiste. « Je ne suis pas art-thĂ©rapeute, si je rencontre une difficultĂ© durant l’atelier, je peux en parler Ă  un mĂ©decin, un psychologue, c’est sĂ©curisant pour moi comme pour le groupe ».
Aider les femmes Ă  se rĂ©concilier avec leur corps par la danse orientale, voilĂ  une dĂ©marche qu’Emmanuelle Rigaud approfondit depuis longtemps. Depuis plus de vingt ans, elle anime un atelier hebdomadaire Ă  la prison des femmes de Fleury-MĂ©rogis (Essonne). Depuis deux ans, elle intervient Ă©galement dans l’unitĂ© de soins et d’accompagnement post-traumatique (USAP) du centre hospitalier intercommunal Rober Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) Ă  la demande du ThĂ©Ăątre de la Poudrerie. Une crĂ©ation avec le groupe Ă©tant en effet prĂ©vue en dĂ©cembre 2023, une autrice viendra recueillir les rĂ©cits des femmes durant l’annĂ©e.
En janvier 2023, elle a dĂ©marrĂ© un projet de crĂ©ation en lien avec les Ă©ducateurs de la CitĂ© des Dames, un centre d’accueil parisien pour femmes sans abri, principalement migrantes, Ă  la demande de la coopĂ©rative de Rue et de Cirque. L’opportunitĂ© pour de nombreuses femmes de renouer avec leur corps en rythme et en douceur.

AgnĂšs Montagne


(1) À lire :
La chronique de BD :Un cocon pour les femmes, dans la rubrique ƒil et oreille de Lien Social, n° 1305, novembre 2021.

Le reportage :Maison des femmes : attention fragile
, dans la rubrique Fabrique du social, Lien Social n° 1206, avril 2017.

ThĂšmes Ă  lire :
- SociĂ©tĂ©/Violence
- SociĂ©tĂ©/Femme
- Culture /thĂ©Ăątre


À corps retrouvĂ©, conception et mise en scĂšne Emmanuelle Rigaud, texte Penda Diouf (invitĂ©e en rĂ©sidence), production Les Alouettes NaĂŻves. 3 fĂ©vrier 2023 au Nouveau Gare au ThĂ©Ăątre 3 rue Pierre Semard Ă  Vitry-sur-Seine Ă  20 h.


Pour commander le spectacle : 06 15 16 67 32 - contact@lesalouettesnaives.com

CrĂ©dit Teaser : Chrystel Jubien



Prison ‱ S’évader par la danse

Dans le cadre de son master Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales (EHESS), Chrystel Jubien rĂ©alisĂ© un documentaire pour lequel elle a suivi Emmanuelle Rigaud durant un an dans l’atelier hebdomadaire qu’elle anime en dĂ©tention. Il montre Ă  quel point un travail de danse orientale - basĂ© sur une technique d’isolation des mouvements de chaque partie du corps - permet Ă  des femmes (que tout lie entre elles) de dĂ©couvrir des espaces de libertĂ© vers l’intime, comme si elles prenaient des passerelles de traverse. Il montre la progression du travail autour des bras, des mains expressives et des doigts qui deviennent dĂ©licats, les haut/bas du bassin, les ondulations du ventre, les tremblements du corps, les frappĂ©s au sol, avec ces voiles colorĂ©s qui deviennent des objets transitionnels, pour arriver, au final, Ă  un spectacle dans lequel le bruissement des ceintures Ă  paillettes lors des dĂ©placements et le maquillage aident Ă  libĂ©rer le corps de chacune de ces femmes incarcĂ©rĂ©es.
L’expĂ©rience gĂ©ographique de la salle polyvalente dans laquelle se dĂ©roulent ces ateliers chaque jeudi dĂ©lie les corps par la danse, permet de se remettre en mouvement.
Au lieu de bloquer les corps et de toujours rester liĂ©es entre elles, ou d’avoir toujours Ă  penser leur condition, ces femmes peuvent ici s’échapper, au creux d’elles-mĂȘmes et retrouver un espace intĂ©rieur solide. On voit bien comment ces corps (habituĂ©s au travail, aux rythmes collectifs imposĂ©s et au bruit), parfois inexpressifs, dĂ©concentrĂ©s ou dĂ©primĂ©s en dĂ©but de sĂ©ance, se retrouvent individuellement au fond d’eux-mĂȘmes, jusqu’à exprimer le sourire, la grĂące et le mouvement. Certains regards empĂȘchĂ©s se libĂšrent mĂȘme totalement sous les voiles colorĂ©s et le mouvement les suit.

A.M


Pour qui danser ?, produit par Pierre Piet (Ad Vitam), 49’, 2018. Contact : cjubien@yahoo.fr

Pour Qui Danser ? from chrys jub on Vimeo.