N° 1341 | Le 1er juin 2023 | Critiques de livres (accès libre)

Sur la crête

Rozenn Le Berre


Éd. La Découverte, sorti le 11 mai 2023 (356 p.- 22 €) | Commander ce livre

Thèmes : Délinquance, Éducateur spécialisé, Internat, Justice, Ecriture, séjour de rupture

Entretien vidéo avec Rozenn Le Berre


À propos de l’enfance délinquante


Ados, montagne et écriture


L’enfance délinquante est souvent présentée comme classe dangereuse, oubliant en premier lieu que derrière cette dénomination se trouvent d’abord des enfants pour lesquels l’éducatif doit primer sur le répressif.

Sur la crête est un livre saisissant, une pépite. Rozenn Le Berre, son autrice, nous livre un récit du réel pour nous immerger dans les coulisses de deux années dans un foyer de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) accueillant des adolescent-es en difficultés, au travers d’une longue marche dans les Alpes, accolée à un atelier d’écriture.
Il est dédié à tous «  les jeunes qui se cachent sous les prénoms Jordan, Lyam et Omar, pour tous les autres aux vies orageuses  » : des jeunes carencés en protection de l’enfance. Ce roman-réel résonne ainsi pour tout travailleur social du secteur, exerçant en foyer ou en milieu ouvert et donnera à coup sûr l’envie à d’autres d’aller s’y essayer. Ce livre raconte donc surtout la rencontre entre deux mondes, sur le fil, tendu, de la relation éducative mais aussi la tendresse, la beauté, l’amour pour ces jeunes.

Atelier d’écriture
Rozenn est allée à la rencontre de ces jeunes par des ateliers d’écriture avec le Labo des histoires, une association qui a pour mission d’encourager les jeunes à écrire et à faire de l’écriture un moyen d’insertion culturelle et sociale. Elle a tissé, au fil du temps, un lien. Et les a accompagnés dans les Alpes. Il y a tout, dans ce livre. Tout ce que l’on peut lire de théories sur l’enfance, l’adolescence en difficulté y est distillée en filigrane au fur et à mesure que l’histoire s’écrit.

Dans les Alpes
Ainsi, sans teaser l’ouvrage, le lecteur est invité à «  un café avalé trop tôt sous des néons trop blancs  » (p. 11). C’est le jour du départ pour les Alpes. Le contexte est posé. Un matin comme nous en connaissons tous dans nos métiers, où, jusqu’au départ, le risque est de ne pas partir. Où l’on s’apprête à «  vivre avec et faire avec  » 24 h/24  avec ces jeunes «  à marcher toute la journée et à partager les conditions sommaires des refuges  » (p. 19), dans la proximité de l’être. La violence de ces jeunes abandonniques, broyés par les problèmes est prégnante. Il y a la tempête des corps meurtris, des émotions vives à gérer, les coups et des mots trop hauts. Il y a la protection de l’enfance, avec tous ses acteurs : éducateurs, maîtresse de maison, cuisinière, juges, familles, jeunes. Et les petites victoires à cultiver. Parce que tout est sur la corde raide de la relation éducative, du lien de confiance que l’on teste pour voir si l’adulte est fiable, s’il ne va pas lui aussi nous abandonner à son tour. Il s’agit d’apprivoisement, d’approche, d’accroche et d’accompagnement. Ici symbolisé par cette cordée, cette chaîne de solidarité partie à l’assaut des Alpes.
Jusqu’au bout, en apnée, nous suivons les histoires de ces jeunes et des familles. Derrière ce qui semble être impénétrable, s’esquisse aussi au fil des pages la fragilité de leur être, la tendresse, les visages redevenus enfants. Et l’amour qu’il faut pour les accompagner, parfois au détriment de sa propre famille. Tout se délite sous les pieds, les masques tombent, et l’on avance dans les rencontres authentiques sans stigmatisation aux croisements des chemins, des rencontres et des gardiens de refuge qui souhaitent la bienvenue. Rare pour ces jeunes, transformant.
Écrit sous forme d’aller-retour entre les Alpes et le foyer, pour mieux comprendre la genèse du projet et les jeunes, Rozenn Le Berre nous offre un récit palpitant, réaliste. Une fois ouvert, on ne s’arrête plus !

Ludwig Maquet



L’autrice
Après des études à Sciences Po Toulouse, Rozenn Le Berre s’oriente vers le journalisme, le travail social et la création de projets culturels autour de l’écrit et de la parole en prisons, foyers de l’enfance, centres sociaux, etc. Elle collabore régulièrement à Lien Social en tant que journaliste. Elle est l’autrice d’un premier livre De rêves et de papiers, (Éd. La Découverte, 2017).


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