N° 1052 | Le 1er mars 2012 | Jean Cartry | Critiques de livres (accès libre)

Soigner les enfants violents

Maurice Berger


éd. Dunod, 2012 (320 p. ; 24,50 €) | Commander ce livre

Thème : Violence

Après Voulons-nous des enfants barbares, le dernier livre de Maurice Berger, Soigner les enfants violents prend très au sérieux la grande violence, voire la violence extrême, d’enfants de plus en plus jeunes. C’est un livre familier parce qu’il nous parle d’enfants que nous connaissons et dont la violence nous désarme et nous angoisse. C’est un livre bienvenu parce que s’ouvrant, comme toujours chez Maurice Berger, à une critique sociale, politique et, par conséquent, législative.

À l’ouverture du livre on trouve quelques affirmations qui structurent cet ouvrage passionnant :

« Les comportements très violents trouvent leur origine dans les deux premières années de la vie ; il en est de même du sentiment de culpabilité, précieux car lui seul permet d’éviter que les actes violents ne se répètent. Lorsque ce sentiment n’est pas constitué à cette période précoce, il est difficile de l’acquérir par la suite ; derrière des gestes violents d’aspect « primitif », sommaire, se tiennent des processus complexes dont les caractéristiques principales sont l’indifférenciation entre soi et autrui, les troubles du schéma corporel et du tonus musculaire, l’incapacité de faire semblant, et des dysfonctionnements neurologiques dus à des soins de maternage très inadéquats. »

Tout le premier chapitre nous parle de Jason, un pré-ado de douze ans, extrêmement violent, dangereux, hospitalisé dans le service de Maurice Berger, pris en charge par l’auteur et toute une équipe dans un processus de soins qui est une véritable empoignade thérapeutique : rigueur clinique, créativité du soin, constance, durée, énergie. Le travail se déploie dans deux directions : des entretiens individuels et le travail institutionnel. Jason « présente une grande violence qui survient lors de flashs hallucinatoires au cours desquels des images de son passé traumatique ressurgissent brusquement en lui ». On croit pouvoir dialoguer ou jouer avec Jason.

Or, Jason ne joue pas, ne sait pas faire « comme si », il n’a pas accès à la transitionnalité. « Chez les sujets qui ont subi des traumatismes répétitifs à la période préverbale, existe une non-construction plus ou moins partielle de l’altérité. Ce n’est pas parce que nous considérons l’enfant qui est en face de nous comme un sujet différencié que la réciproque est valable ». L’enfant est menacé de destruction par autrui. On observe un éprouvé massif d’insécurité existentielle qui appelle l’agir et la violence pour survivre, au détriment de la pensée et de la parole.

À lire Maurice Berger, on constate que le thérapeute, comme aussi l’éducateur, ne peuvent vraiment comprendre cette souffrance que dans le contre-transfert. Ce que l’enfant nous fait, l’état dans lequel il nous met, constituent notre conscience clinique et transcendent le « savoir » proprement dit auquel l’examen clinique, les tests et l’observation méticuleusement décrits par Maurice Berger, donnent accès. Ce qui me frappe chez l’auteur et les soignants de son équipe, c’est l’engagement dans la clinique, ce qui postule, en retour, une clinique de l’engagement et donc une supervision individuelle et groupale constante.

Face à Jason « explosé » se pose l’urgente nécessité de le contenir physiquement et psychiquement, mais d’abord dans son corps avec une énergie des intervenants, qui, vue de l’extérieur, peut à tout le moins surprendre, mais qui est cliniquement justifiée. En effet, il est impératif que l’enfant retrouve un sentiment primordial de sécurité en éprouvant les limites de son corps. En quelque sorte, la contenance physique lui restitue cette forme que la mère n’a pas moulée dans ses mains et dans ses bras.

Lors des entretiens qui alternent avec ces moments de contention, le psychothérapeute tente d’aller avec l’enfant aux sources de son histoire psychique. C’est une sorte d’archéologie des émotions, un travail de déblaiement dangereux et douloureux. J’aime que le thérapeute reconnaisse par moments son désarroi et recoure à son équipe comme à une « enveloppe groupale », la même qui, au plan institutionnel, contient l’enfant.

Maurice Berger décrit les différentes formes de violences à travers des enfants-limites qui ressemblent fort à certains que nous rencontrons dans notre pratique professionnelle. Sont décrits les moyens et les tentatives de contention physique et psychique mis en œuvre en pédopsychiatrie hospitalière et qui sont rigoureusement articulés à la clinique singulière de chaque enfant. Maurice Berger consacre un chapitre entier à la négligence dont un enfant peut souffrir auprès de ses parents, comme aussi dans des services réputés spécialisés, comme si le pire dont souffre un enfant est certes ce qu’on lui a fait, mais aussi ce qu’on ne lui a pas fait, affirme Maurice Berger.

Contenance donc, leitmotiv de ce beau livre ; contenance institutionnelle, relationnelle, physique, groupale, pédagogique. Contenance éclairée par la recherche et soutenue par la rigueur scientifique. Contenance aussi des thérapeutes et de l’équipe de soignants exposés à la violence des enfants et des pré-ados. « Chacun des enfants dont je parle ici - écrit Maurice Berger - nous fait découvrir des processus psychiques nouveaux, ce qui rend passionnant ce genre de travail à condition de ne pas être submergé individuellement et groupalement par ce qu’il nous fait vivre. »


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