N° 1252 | Le 28 mai 2019 | par Denis Decourchelle, Anthropologue, enseignant vacataire | Espace du lecteur (accès libre)

Savoir, souffrance et saveur chez les étudiants du travail social

Thème : Formation

Voilà bien longtemps déjà, au moins depuis que l’État entreprend de légitimer et de mettre en place ses politiques publiques à l’égard de ceux qui, au sens fort, relèvent de l’assistance, le domaine du travail social génère un grand trafic de savoirs.

De fait, l’examen des situations de terrain oblige le professionnel, mais aussi l’étudiant, à convoquer les dimensions juridiques, sociologiques, psychologiques, historiques et anthropologiques pour analyser et penser de quoi ces «  accidents  » du lien social sont l’indice. Protection de l’enfance, handicap, démence, vieillesse, déscolarisation, pour ne citer qu’eux, consomment dans le quotidien des institutions comme des lieux de formation force concepts et morceaux de théories. Toute chose dont on pourrait se réjouir si la relation à ces savoirs ne s’endommageait souvent de mal-être et de frustration chez les utilisateurs de ces diverses notions.

Une expérience de plusieurs années comme enseignant vacataire en IRTS me donne à voir l’étrange écart entre la richesse des matériaux recueillis, le tact relationnel de nombre d’étudiants sur leurs terrains de stage et les émotions négatives qui accompagnent la valorisation de ces informations. S’il est vrai que certains parcours d’apprenant comportent des «  échecs  » de scolarisation, s’il est vrai encore que la maladresse pédagogique – pour être aimable – de certains enseignants les conduit à focaliser sur la forme des attendus certifiants du diplôme plus que sur les contenus, au final, on ne comprend pas que l’apprentissage de ces métiers ne soit pas davantage source de jouissance.

On peut, cyniquement, relativiser cette situation et considérer qu’elle relève du stress classique de toute session de formation. Mais, pour ma part, je considère que cette relation douloureuse aux savoirs et leur manipulation chez les étudiants en travail social incombe d’abord à leurs formateurs et qu’elle est la preuve d’une certaine forme d’échec pédagogique.

Nous le savons, le travail social désigne, de fait, des zones sensibles, des lieux sociaux et culturels où les choses ne vont plus de soi, où agit ce que l’on nomme pulsion de mort, désaffiliation, dislocation des liens et ravages de l’économie libérale, mais où la relation à autrui fait aussi l’objet d’un accompagnement et d’une restauration «  haute couture  », précise, circonstanciée, individualisée grâce au travailleur social. Bien d’entre eux éprouvent déjà sur leur terrain le plaisir de penser la complexité d’un contexte, d’inventer un dispositif d’accompagnement et partager l’épanouissement d’un usager. Puissent leurs années de formation les assurer qu’il est pleinement légitime de savourer ces états.