N° 983 | Le 2 septembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Penser à partir de la pratique. Rencontre avec Alain-Noël Henri

Oguz Omay & Georges Gaillard


éd. érès, 2009 (221 p. ; 13 €) | Commander ce livre

Thème : Psychiatrie

Alain-Noël Henri fait partie de ces personnalités du social qui ont œuvré pendant près de cinquante années auprès des professionnels, sans que leur action ne soit reconnue au-delà du secteur géographique où ils ont agi. Ce livre d’entretiens, animés d’une grande liberté de parole et de pensée, menés par un psychiatre et un psychologue, permet de découvrir le cheminement d’un acteur et d’un sage. Philosophe et psychanalyste, il a failli devenir éducateur à l’éducation surveillée avant d’opter pour la carrière universitaire, après être passé par l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Mais cet intellectuel est du genre atypique, dénonçant le rapt du savoir par les présumés savants et discoureurs de métier et revendiquant l’expertise des praticiens de terrain.

Créateur en 1969 d’une école d’éducateurs, puis animateur pendant trente ans d’un cursus de formation en psychologie intitulé « formation à partir de la pratique », il a été l’un des premiers à proposer une analyse de pratique aux professionnels en institution. Il s’est inspiré pour cela des groupes de parole qu’il menait, quand il avait vingt-cinq ans, avec l’évêque de Fréjus et ses archiprêtres ! Thérapeute freudien, il n’hésite pas à dénoncer la perversité de toutes les formes dominantes de la pensée contemporaine qui cherchent à assigner l’autre à ce qu’elles attendent qu’il soit… Et, dans cette condamnation, il inclut la psychanalyse, quand celle-ci fourbit des « vérités canoniques fossilisées ». Il a toujours été congénitalement incapable d’une allégeance exclusive à qui que ce soit dans aucun domaine. Il le reconnaît : le principal handicap dont il souffre, c’est l’incapacité à s’engager dans un discours partisan quel qu’il soit, et à communier avec un groupe qui a une représentation caricaturale de ceux qui ne partagent pas ses convictions.

Son regard sur la folie est tout aussi iconoclaste. Les murs de l’asile, explique-t-il, ont été remplacés par le tabernacle de l’expert et du réseau de communication ésotérique qu’il entretient avec ses pairs. Les névrotiques veulent du bien aux psychotiques en cherchant à les convaincre d’abandonner leur psychose pour les rejoindre dans la névrose. Or, il existe un grand nombre d’états psychiques qui sont ce qu’ils sont. Chacun produit ses formes particulières de souffrance. La différence réside dans la stigmatisation de certains d’entre eux, désignés comme pathologiques. Ceux qui en sont atteints sont affublés du statut de malades.

Lecture roborative et tonique s’il en est, à recommander comme antidote à toutes les idéologies !


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