N° 1333 | Le 14 février 2023 | Par Denis Decourchelle, anthropologue, intervenant-formateur | Espace du lecteur (accès libre)

Oury complet

Thèmes : Psychiatrie, psychothérapie institutionnelle

L’ouvrage de Pierre Delion, «  Oury, donc  » (1), auquel on peut joindre «  La constellation transférentielle  » (1), est d’une grande utilité. Écrite avec une évidente volonté didactique, l’auteur replace cette démarche dans l’histoire de la psychiatrie et rappelle, comme il se doit, l’importance fondatrice de Tosquelles dans sa pensée et ses actions. Oury est «  fameux  », ce nom évoque toujours quelque chose chez les acteurs actuels du médico-social et de la psychiatrie, mais la difficulté est de l’infuser ou le donner à manger, morceaux par morceaux, aux jeunes étudiants et aux professionnels des établissements spécialisés où, parfois, de mauvaises habitudes d’accompagnement ont été prises. Pour autant, les choses peuvent être simples et dites de façon explicite, en lien avec le quotidien des établissements. Ainsi, la notion de Collectif. «  Notre but est qu’une organisation d’ensemble puisse tenir compte d’un vecteur de singularité : chaque usager doit être envisagé, dans sa personnalité, de la façon la plus singulière. D’où une sorte de paradoxe : mettre en place des systèmes collectifs et en même temps préserver la dimension de singularité de chacun. C’était dans cette sorte de «  bifurcation  » que se posait cette notion de Collectif  ». Ce Collectif ne se confond donc pas avec la collectivité et sa machinerie institutionnelle, les professionnels, quel que soit leur statut, y constituent des lieux ressources, des «  stations identitaires  » pour les usagers. Ce que savent bien les lingères, les maîtresses de maison et le personnel d’entretien. Delion décrit également le Club, pratiqué à La Borde (et avec Franco Basaglia également, en Italie), à l’intérieur duquel des décisions peuvent être discutées et prises par les usagers et les professionnels concernant certaines organisations et projets de l’établissement. La dernière partie du livre identifie un certain nombre de ces notions : «  le club thérapeutique, la double aliénation, la fonction d’accueil, transfert dissocié et constellation transférentielle, respect de l’historicité et le collectif, la permanence des institutions, la pathoplastie, la " fonction -1"  ». Pour ces concepts-clés, l’auteur donne des définitions et une mise en pratique, en lien avec les situations contemporaines.
C’est bien à tort qu’on limiterait l’application de toutes ces réflexions au seul domaine de la psychiatrie. Outre que la question de la schizophrénie, de l’autisme et de la psychose continue de se poser dans les établissements du médico-social, comme dans les instituts médicoéducatifs, les instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, les Hôpitaux de jour, les groupes d’entraide mutuelle, les foyers occupationnels et les foyers d’accueil médicalisés, par exemple. La vertu des propositions d’Oury est aussi de nous rappeler les missions premières des institutions spécialisées, au service de la personne accueillie.
Enfin, nouvelle perspective, on pourra aussi s’intéresser à ce regard porté sur le processus de création, tel qu’il pouvait se manifester à Saint-Alban au travers d’œuvres désormais hébergées dans la catégorie «  Art Brut  », celles d’Auguste Forestier, Arneval, Aimable Jayet et dont on peut trouver présence sous forme d’article dans les premiers fascicules de l’Art Brut.
« Oury, donc » est un petit pactole à piller consciencieusement, crayon à la main. A croire que l’auteur a fait exprès.


(1) Éd. érès, 2022