N° 1295 | Le 11 mai 2021 | Critiques de livres (accès libre)

Oubliez tout ce que vous savez sur les assistantes sociales

Stella Kowalczuk


Éd. Chapitre.com, Saison 2 (2018, 207 P., 15 €), Saison 3 (2019, 217 p., 15 €), Saison 4 (2019, 265 p., 16 €), Saison 5 (2020, 301 p., 18 €) | Commander ce livre

Thèmes : Assistante sociale, Pratique professionnelle

Une saga est née

Nous avions laissé la chronique des aventures Gwendoline Guérande, assistante sociale de son état, en 2018, lors de la publication de son premier tome (cf. LS 1 246).
Ses improbables péripéties se sont prolongées tout au long des quatre opus suivants. La trame romanesque n’a pas changé. Alternent des chapitres où s’exprime la travailleuse sociale, suivis du récit à la première personne par l’usager qu’elle a accompagné. L’auteure exerçant le même métier, la précision et la minutie avec lesquelles elle décrit les actes professionnels ne relèveraient pas d’une si grande prouesse, si elle ne réussissait à rendre intelligibles des procédures administratives si obscures et énigmatiques. Le lecteur est ainsi confronté à des univers aussi diversifiés que l’adoption et la psychiatrie, la tutelle et le handicap, la vieillesse et la violence conjugale, la précarité locative et la maltraitance… Il fait la connaissance de personnalités aussi attachantes que celle d’Étienne, homme battu ; de Jalil, jeune majeur isolé ; de Goran, père de famille Rom en recherche d’un logement ; de Gérard, sortant de prison ; de Mayline dont le fils a été enlevé par sa belle-famille ; de Blanche, jeune adulte réduite en esclavage par ses parents ; de Tony, veuf et dépassé par l’éducation de ses quatre enfants ; de Melvin mis à la porte de sa famille après avoir fait son coming-out… et de tant d’autres.
Qu’on ne s’y trompe pas, il n’y a rien là pour plomber l’ambiance. Tissées avec tant d’humanité, de bienveillance et d’empathie, toutes ces descriptions produisent chez le lecteur des émotions faites de tendresse et d’optimisme. Et puis, il y a cet humour ravageur omniprésent. La personnalité complètement extravagante et déjantée de Gwendoline Guérande y est pour beaucoup provoquant ou subissant des situations plus cocasses les unes que les autres. Sans compter sa manie d’entraîner Balthazar le gendarme, Philippe son chef de service, Joseph le prêtre de la paroisse et Tarantino le musicien, tous amoureux d’elle au point de l’épauler pour sauver ses protégés ! Ce sont aussi ses relations familiales compliquées qui font d’elle une femme aux prises avec les turpitudes de l’existence : sa propre mère mourante, le père de ses enfants qui l’a plaquée, ses deux adolescents qui ne déméritent pas de leur mère, en termes de transgressions. Mais, ce qui rend Gwendoline Guérande encore plus fascinante, c’est sans doute son appartenance à cette catégorie de professionnelles qui n’a pas l’habitude de renoncer. Sa détermination ne semble avoir aucune limite. Encore, s’il n’y avait que ce Jean-François qu’elle veut faire sortir de sa prostration, en l’invitant à un footing un dimanche matin. Mais, son implication va bien plus loin. Que dire quand elle traverse la moitié du pays pour venir en aide à Nino, coincé sur une aire d’autoroute. Quand elle pénètre de nuit dans une administration pour dérober le dossier qui permettra de retrouver cette fille confiée en vue d’adoption. Quand, n’ayant aucune autre solution, elle accueille chez elle une famille de réfugiés menacée de se retrouver à la rue. On peut imaginer la réaction du lecteur travailleur social s’élevant contre de telles atteintes à la sacro-sainte distance professionnelle, au respect des procédures et à la résignation face à des situations injustes. Et si, justement, cette fiction nous donnait l’occasion de nous laisser aller à nos pires fantasmes : nous libérer de nos entraves pour résoudre les situations impossibles ? Avec cet épisode parmi les plus hilarant mettant en scène les demandes financières de Jeannot, Yvette et Edmond pour changer respectivement un dentier, des lunettes et des appareils auditifs – sans oublier Marie-Claudine qui a dû faire face aux frais d’obsèques de son mari. Nos quatre seniors utiliseront les aides obtenues… pour fuguer de leur maison de retraite et se payer une croisière ! On en réclame encore, tant on ne s’en lasse pas.

Jacques Trémintin


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