N° 1295 | Le 11 mai 2021 | Critiques de livres (accès libre)

Les contrebandiers de l’éducatif

Ahmed Nordine Touil


Éd. L’Harmattan, 2021, (281 p. – 29 e) | Commander ce livre

Thèmes : Éducateur spécialisé, Pratique professionnelle

Éduquer dans la contrainte

Les maisons de correction furent fermées en 1979, car loin de juguler la déviance des jeunes, elles ne faisaient qu’accélérer leur carrière délinquante. Nombreux sont ceux qui crièrent à leur réouverture, lorsque les programmes des Centres éducatifs renforcés et Centres éducatifs fermés furent lancés. Il y avait incompatibilité entre éducation et coercition. Le livre d’Ahmed Nordine Touil propose une immersion ethnologique dans l’expérience de la navigation éducative par temps calme et par tempête accumulée par les éducateurs qui y travaillent. Le public accueilli est traversé par les mêmes constantes : mettre à l’épreuve les limites et le cadre, attaquer les figures d’autorité rencontrées, considérer l’Autre comme un obstacle, un ennemi et un empêcheur-castrateur et commettre des infractions pénales graves. Ayant rencontré bien peu d’adultes fiables et étayants, ils sont en quête d’un espace où s’incarnera la frontière à ne pas dépasser. Ouvreurs de portes, passeurs de relais et créateurs de circonstances, les professionnels se saisissent de l’acte délinquant pour tenter d’en extraire leurs auteurs en restaurant leur santé physique et psychique, en les réinscrivant dans leur histoire et dans des liens de socialisation. Mais, les rituels qui scandent leur vie donnent une large place à des règles formelles précisant beaucoup d’interdits et de limitations et bien peu de libertés. Et parce que la contrainte est permanente, ce sont dans les marges du quotidien et dans les pratiques contrebandières et officieuses, dans les coulisses de la scène sociale et institutionnelle que ce travail éducatif se déploie. Corps à corps jusqu’au cœur à cœur, connivence émotionnelle, mise en mots et en sens de l’éprouvé, relations réciproques dans lesquelles s’engagent l’adulte et le jeune, incarnation symbolique, don d’une partie de soi etc. animent un quotidien toujours inattendu. Les relations oscillent en permanence, au gré des humeurs et des états psychologiques de chacun(e). Les félicitations et encouragements alternent avec la contention et les sanctions… qui ne peuvent avoir de portée que proportionnellement à l’authenticité avec laquelle elles se manifestent. Les postures ne sont jamais figées, ni dans le temps, ni dans l’espace, nécessitant donc une adaptation et un ajustement constant entre attraction et répulsion, attachement et détachement, rapprochement et mise à distance.

Jacques Trémintin


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