N° 1293 | Le 13 avril 2021 | Par Vince, éducateur | Espace du lecteur (accès libre)

Les paradoxes du moment

Thèmes : Pratique professionnelle, Maladie

Les temps sont durs pour le travail social. Le contexte sanitaire nous impose distanciation sociale et gestes barrière alors que notre outil de travail c’est le lien. Comment rassurer quand une main tendue devient une menace ? À quoi bon sourire derrière un masque ?
La fable disait donc vrai : nous nous trouvâmes fort dépourvus quand la bise fut venue.
Il nous faut trouver des alternatives, travailler la douceur d’un regard, la chaleur d’une voix. Tout du moins tant qu’on ne nous imposera pas de désinfecter la moindre de nos intentions d’attention, même autre que tactile.
Ah la fameuse question de la distance dans la relation éducative ! Avec les protocoles, là au moins c’est réglé : le gel hydroalcoolique en outil de médiation !
Pouvons-nous inventer de nouvelles formes d’expression affective ?
J’avais tout d’abord pensé à une perche télescopique avec une fausse main au bout pour pouvoir sécher les larmes d’un enfant. Mais j’ai eu peur de la maladresse et du risque de doigt dans l’œil. J’ai ensuite imaginé donner sa chance à la médiation animale, pangolin mis à part. Mais c’était sans compter sur les possibilités de réactions allergiques ou sur les effets indésirables de souvenirs évocateurs d’autres pilosités malsaines et incestueuses. Pensant rassurer, j’ai tout simplement tenté la combinaison intégrale : gants, masque, visière, tenue de plongée. Je me suis finalement abstenu de cet accoutrement quand j’ai identifié l’incongruence de la comparaison entre un enfant et un déchet nucléaire.
J’ai eu beau chercher des dispositifs de réappropriation du lien, je n’en ai finalement retenu qu’un seul, évident, inébranlable. La parole. Les mots peuvent toucher, rapprocher, contenir. Ils ont intrinsèquement bien plus que la force d’une main qui, elle, se limite aux pouvoirs de la caresse à la gifle. Ils ne s’arrêtent pas aux barrières de la peau. Qu’ils soient prononcés, écrits, lus, chuchotés, criés, ils vont au plus profond de l’être, ils résonnent, donnent du sens.
Et jamais aucun désinfectant ne pourra les aseptiser.