N° 1346 | Le 28 septembre 2023 | Espace du lecteur (accès libre)

Lampedusa • 10 000

Thème : Droit d’asile

Par Louis Kehr, éducateur spécialisé


Non, ce n’est pas le titre d’un dernier film de spartiate, mais bien le nombre évalué de personnes réfugiées qui sont arrivées ces derniers jours sur l’ile de Lampedusa, en Italie (1). Les images sont là, atroces, désespérément fatalistes tellement nous avons l’habitude de les voir sur nos écrans. Nous nous insurgeons (enfin certains d’entre nous) quand les bateaux de rescapés sont refusés d’accoster, nous pleurons devant la noyade du petit Aylan, nous espérons encore l’humanité quand un garde civil joue avec un enfant dans ce triste chaos. Ce qui n’a pas tardé, en tout cas, c’est la visite de soutien de l’extrême droite xénophobe à l’Italie. Enfin, pas à toute l’Italie. À sa présidente elle-même d’extrême droite surtout, élue justement pour endiguer l’arrivée de réfugiés. Raté. Ils sont quand même là. Il faut en avoir de la haine pour profiter de la misère humaine et se pavaner devant ces hommes, femmes, enfants et nous expliquer qu’il faut les rejeter à l’eau. Génération identitaire l’avait fait d’ailleurs : affréter un bateau en 2017, le C-star, pour aller repousser les migrants en mer. Pas de chance, ce dernier en raison d’un problème technique avait été secouru par l’ONG allemande Sea-Eye, qui œuvre pour le sauvetage des migrants en mer. Un comble. Ils sont pourtant forts pour nous expliquer que les réfugiés sont la cause de tous nos maux. Le prix de l’essence ? Ce sont les réfugiés. Le chômage ? Encore eux. L’inflation ? Toujours leur faute. Et la bêtise humaine, à qui la faute ? L’arrivée massive de ces réfugiés montre surtout l’échec des politiques d’extrême droite face à la «  crise migratoire  », dans une Europe désolidarisée et bureaucratisée par des règlements prescrits. Dublin II est d’ailleurs ce qui fait débat. Ce règlement est destiné à identifier dans les plus brefs délais possibles l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile et à prévenir l’abus des procédures d’asile. C’est le premier pays d’accueil qui est responsable de l’étude de la demande d’asile. Dans ce contexte, il est possible de comprendre le désarroi des Italiens et leur refuge pour certains dans les idées réactionnaires. Politique du bouc émissaire comme nous en avons souvent connu dans toutes les périodes de crise. C’est là qu’il nous faut encore et encore expliquer que non, ce ne sont pas les migrants qui sont responsables de votre déclassement social. D’ailleurs, migrants, réfugiés, exilés sont des vocables eux aussi à redéfinir. Un peu de vocabulaire, donc. Flux migratoire : Ensemble de personnes en circulation dans le monde. Un migrant : personne qui se déplace d’un lieu à l’autre avec pour objectif de s’y installer à long terme. Un émigré : personne qui quitte son pays pour s’installer durablement dans un autre pays. Un immigré : Personne qui arrive dans un pays étranger au sien pour s’y installer. Un réfugié : personne qui a fui son pays d’origine, craignant pour sa vie ou sa liberté, reconnue comme en danger qui obtient le droit de s’installer dans un autre pays. Nous vivons dans un monde de migrations. C’est la mondialisation capitaliste qui veut ça. Qui génère des disparités, des inégalités et des guerres sur la planète. Il ne faut pas s’étonner alors que les plus pauvres d’entre nous souhaitent s’installer là où il ferait bon vivre. Partir, quitter son pays, ses racines n’est jamais un choix délibéré, mais bien un choix subi. Ce n’est pas un choix de mourir en mer, d’être torturé en route, de voir son enfant se noyer sous ses yeux, de se faire violer, tout cela dans l’espoir d’une vie meilleure. Cette année, les accidents de bateaux de migrants sur la Méditerranée ont tué 4 000 personnes. Et puis, il faut rappeler, à tous ces défenseurs de nos frontières, que la plupart des migrations internes de l’Afrique sont éclipsées par les traversées vers l’Europe. La plupart des migrations ont lieu à l’intérieur du continent africain. Il n’y a là nulle submersion comme annoncé. Puis, arrivés sur le continent européen, c’est un autre parcours du combattant qui commence. Avec les demandes d’asile, la poursuite des routes de l’exode et de ses violences. Mais non, non et non, les migrants ne sont pas les causes de tous nos maux. En revanche, oui, oui et oui, il faut aider L’Italie à accueillir dignement dans cette période de crise aigüe. Il s’agit d’abord de traiter l’urgence humanitaire en déployant des moyens structuraux, de santé comme dans toute crise humanitaire. Puis organiser le traitement des demandes d’asiles hors règlement Dublin. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. C’est d’ailleurs la proposition de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, qui a présenté un plan conjuguant fermeté concernant les passeurs et facilitation des voies d’entrées légales dans l’UE tout en appelant les pays européens à se montrer solidaires en accueillant une partie des migrants arrivés en Italie. Nous n’avons pas le choix, on ne va pas les remettre à la mer. Revenir sur la législation européenne migratoire. Arrêter le tout répressif. On pourra toujours mettre plus de policiers à nos frontières pour chasser sur les terres de l’extrême droite, cela ne résoudra rien au fond. D’autant plus qu’avec la crise climatique, le nombre de déplacements de population ne va pas cesser de croitre. Au lieu d’un repli sur soi identitaire, de la recherche de bouc émissaire, de se tromper de cible, de niveler le débat par le bas, il nous faudrait plutôt nous poser d’autres questions. Dans quelle mesure les mobilités révèlent-elles l’interconnexion du monde et reflètent-elles les inégalités et les différences qui existent entre les territoires et les populations ? Pourquoi et comment les hommes migrent-ils ? Quels sont les effets de ces migrations sur les pays de départ et sur les pays d’accueil ? Nous éviterions ainsi, peut-être, les récupérations nationalistes. Mais l’histoire est un éternel recommencement et nous n’en retenons pas les leçons.
(1) À l’heure où est écrit cet article.

DES MIGRATIONS INTERNATIONALES À METTRE EN PERSPECTIVE
Source : la Cimade (1)

  • Selon les Nations Unies, le nombre total de migrant·e·s internationaux·ales augmente, passant d’environ 150 millions de personnes en 2000 à 280,6 millions de personnes en 2020, son taux par rapport à la population mondiale reste stable.
  • La majorité des migrations ne s’effectue pas des pays du Sud vers des pays du Nord (entendu vers l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie et d’autres pays dits «  développés  »). Une grande partie des mobilités s’effectue dans un pays de la même région que le pays d’origine. Ainsi, en 2020, sur les 86,7 millions de migrant∙e∙s internationaux∙les résidant en Europe, la moitié était née dans un autre pays européen (50,5 %)
  • La France comptait en 2020, selon les Nations Unies, 8,1 millions de migrant·e·s internationaux·ales sur son territoire, soit 12,4 % de sa population totale. Cela faisait du pays, cette année-là, le 7ème pays d’accueil de migrants internationaux dans le monde.
    (1) https://bit.ly/3RpPrru