N° 1309 | Le 18 janvier 2022 | Critiques de livres (accès libre)

La question SDF

Julien Damon


Éd. PUF, 2021, (368 p. – 18 €) | Commander ce livre

Thèmes : SDF, Politique sociale

État des lieux

Cette troisième édition du livre de Julien Damon paru il y a vingt ans, qui décortiquait les contours de l’une des problématiques essentielles de l’action publique et la manière dont celle-ci y répondait, reste d’une actualité brûlante. Avec, comme seuls changements : toujours plus de sans-abris et de sans domiciles fixes dormant à la rue, très souvent étrangers et un complexe bureaucratico-assistanciel, comme le nomme l’auteur, encore plus embrouillé, les couches de mille-feuilles n’ayant cessé de s’accumuler !
Pourtant, ce n’est pas l’argent qui manque : le budget dédié de 500 millions en 1999 est passé à 3 milliards en 2020. Ni les places : 200 000 en hébergement d’urgence, autant en logement accompagné et 50 000 nuitées d’hôtel via le Samu Social. Jamais les efforts des pouvoirs publics n’ont été aussi fournis et jamais les SDF n’ont été aussi visibles. La mise en perspective proposée ici éclaire ce paradoxe. Tout d’abord, en combattant l’idée d’une irrationalité des comportements. Il est essentiel de saisir ce qui fait sens pour les SDF. Ils ne sont ni des agents dominés sans marge de manœuvre, ni des acteurs stratégiques ayant une vision claire de leur situation, mais des bricoleurs en mode survie, en situation transitoire, permanente ou chronique. Toute simplification monocausale est à proscrire. Le second axe abordé ici rappelle cette ambivalence qui a toujours été au cœur des réactions d’une société alternant entre l’optique répressive et assistancielle : les SDF ont toujours été à la fois et tour à tour enfermés, secourus, nourris, bannis, torturés, soignés et mis au travail ; considérés comme oisifs, vicieux, fainéants, asociaux, victimes, (in)insérables, (in)volontaires, (in)employables, (i)récupérables… Jusqu’aux années 1990, l’action sociale ne s’adresse qu’aux conséquences de la pauvreté et des inégalités, les mendiants, vagabonds et clochards n’existant qu’à la marge. Avec l’émergence de la notion d’exclusion, ce ne sont plus tant des populations qui sont ciblées (veuves, handicapés, personnes âgées, mères isolées) que des individus au profil diversifié et parcours multiple. Vient enfin le descriptif surréaliste de la multitude d’intervenants publics et privés dont la volonté de coordination n’a d’égale que l’éparpillement et la concurrence, renvoyant la personne «  sans  » d’un territoire à un autre, d’une institution à l’autre, dans un jeu de ping-pong, de flipper et de jeu de l’oie.

Jacques Trémintin


Dans le même numéro

Critiques de livres