N° 1286 | Le 5 janvier 2021 | Par Benoit Magras, assistant de service social (benoit.magras@hotmail.fr) | Espace du lecteur (accès libre)

La méditation de pleine conscience peut-elle aider le travail social ?

Thèmes : Souffrance, Pratique professionnelle

Nous avons reçu une contribution d’un professionnel proposant une approche encore peu appliquée dans notre secteur. Innovante pour les uns, archaïque pour les autres, ringarde pour d’autres encore, elle est habilement argumentée ici. Au lecteur de se faire son avis.

J’ai travaillé pendant trois ans comme assistant de service social auprès de demandeurs d’asile. Puis, j’ai vécu un an dans un monastère bouddhiste. Je collabore et me forme après de plusieurs structures dont l’association MINDFULNESS SOLIDAIRE. Devenu intervenant en méditation de pleine conscience auprès de particuliers, de collectivités et d’entreprises, j’ai conçu le projet de créer une Maison des Soignants à Bergerac pour offrir aux aidants professionnels (et aux étudiants) du social et du médical, un lieu d’apprentissage et de ressourcement. L’idée est simple et ambitieuse : apprendre à prendre soin de soi, pour prendre soin des autres et prévenir l’épuisement professionnel. Il s’agit de proposer à ces professionnels, la possibilité d’avoir du temps pour eux, de faire des formations en méditation de pleine conscience et des week-ends de ressourcement. Je veux que ce soit un lieu professionnel, intégré dans le paysage local. C’est pour cela que nous choisissons des techniques de méditation de pleine conscience laïque, validées par de nombreuses études scientifiques. Cette pleine conscience est un entraînement de l’esprit que l’on trouve initialement dans le bouddhisme. C’est une technique de méditation qui permet d’apaiser le corps et l’esprit, mais aussi une voie de libération et de compréhension. Depuis les années 1980, la pleine conscience s’est intégrée dans des contextes laïques pour lesquels elle a été rendue accessible. Pour le docteur américain Jon Kabat Zinn (père fondateur de cette pratique dans sa forme laïque en Occident), la pleine conscience consiste à «  diriger son attention, d’une manière particulière c’est-à-dire, délibérément, au moment présent et sans jugements de valeur  ». Porter notre attention sur tout ce qui se passe à chaque instant à l’intérieur de soi et autour de soi. Observer les pensées, les sensations corporelles, les émotions et tout ce qui survient dans l’environnement. Nous avons alors plus d’outils pour mener notre vie avec plus de discernement et de bienveillance. Le développement personnel est très en vogue aujourd’hui. Mais, je me méfie beaucoup des effets de mode. Parfois, ils participent à une instrumentalisation d’intentions vraiment louables et d’engagements profonds. Ce qui m’insurge parfois, ce sont les injonctions paradoxales au bonheur dans une société qui créée structurellement beaucoup de souffrances. Au fond de moi, la crainte que je ressens est que cet outil puissant de libération, la méditation de pleine conscience, issu de traditions ancestrales, se trouve peu à peu instrumentalisé et utilisé à des fins qui lui sont contraires à l’origine (productivité et contrôle accru, par exemple). La pleine conscience ce n’est pas d’être zen, voir même toujours heureux, tout le temps, mais d’être qui on est, pleinement vivant, et de s’accepter comme tel. C’est la voie du cœur ! Pour moi, avoir des ressources pour mieux me connaître et me ressourcer m’aide à décompresser, à me reposer, et à avoir l’esprit plus clair pour trouver des solutions. Si on accepte nos vulnérabilités, les uns les autres, on peut aussi soutenir et être soutenu, faire des chaines de solidarité et de soutien. Ça, c’est une dimension collective à laquelle invite activement la pleine conscience car cela nécessite d’accepter de voir la souffrance telle qu’elle est pour éventuellement être aidé. Si la souffrance existe, la question que je me pose n’est pas «  à qui la faute ?  » mais que faire, comment, et avec qui, pour la soulager. Collectivement, nous pouvons être force de propositions. Méditer, c’est créer de l’espace. La pleine conscience n’est pas un état à atteindre qui nous permet d’être ensuite au-delà des soucis du quotidien. C’est plutôt une terre à cultiver de notre mieux pour faire germer de belles graines (la liberté, la concentration, l’attention, la bienveillance par exemple). Je pense qu’il est de la responsabilité des individus et des collectifs de cheminer sur la question de l’éthique. À ce titre, j’aime beaucoup la définition qu’en donne la professeure de philosophie Cécile Renouard : «  La recherche déterminée personnelle et collective, de la vie bonne, aujourd’hui et demain, dans des institutions au service du lien social et écologique.  » Selon moi, les enjeux se situent à l’échelle individuelle et à l’échelle collective. À l’intérieur et à l’extérieur. La pleine conscience invite à observer cet ensemble. On pourrait critiquer cette approche en lui reprochant de se focaliser sur les effets, jamais sur les origines des problèmes. En ce qui concerne la méditation de pleine conscience, nous remontons à la cause racine de la souffrance en observant notre quotidien de la façon la plus méticuleuse possible afin de déceler le mal être. La pleine conscience est un chemin d’apprentissage, long, semé d’embûches, mais vivant et beau. C’est un outil pour que les personnes se libèrent par elles-mêmes, se fassent du bien par elles-mêmes. Évidemment, ce n’est pas une recette miracle et cela ne convient pas à tout le monde. Par ailleurs, de plus en plus de personnes cherchent à appliquer la pleine conscience à l’échelle collective et institutionnelle. La pleine conscience est importante auprès des leaders et des responsables car ils peuvent proposer des manières de fonctionner plus collaboratives, humaines et justes. Il y a urgence à faire grandir le nombre de leaders éthiques et inspirants et à les encourager en ce sens. Beaucoup de personnes admettent qu’un changement de paradigme est inéluctable.
Manifester avec la même souffrance, la même violence, la même colère que celle produite par le système contre lequel on prétend lutter ne me semble ni désirable, ni efficace. Je crois plus à la paix, intérieure et extérieure, à l’intelligence et à l’habileté dans la négociation. Avoir le courage de s’arrêter, se responsabiliser, s’autonomiser, c’est retrouver du pouvoir. Le maître zen vietnamien Thich Nhat Hanh, chez qui j’ai séjourné au Village des Pruniers, a été un grand artisan de la paix pendant la guerre du Vietnam, et Martin Luther King, l’avait proposé comme Prix Nobel de la paix en 1967. Il a fondé, au Vietnam, l’École de la Jeunesse et du Service Social, (une organisation d’aide basée sur les principes bouddhistes de non-violence et d’action humanitaire, forte de 10 000 bénévoles). Il est un précurseur du bouddhisme engagé. Personnellement, partager la pleine conscience à l’hôpital psychiatrique, auprès des avocats ou encore de détenus, c’est un de mes engagements pour créer les conditions d’un monde plus juste et plus humain et j’y participe avec beaucoup d’autres : thérapeutes, psychiatres, médecins, psychologues, infirmier(e) s, enseignant(e) s de pleine conscience et tou (te) s les participant(e) s aux ateliers. Dans ces ateliers nous coconstruisons un autre rapport à nous même, aux autres, à la nature. Nous coconstruisons d’autres possibles. Faire la révolution aujourd’hui c’est peut-être s’asseoir sur un coussin, s’arrêter, faire une pause, respirer. Pas pour s’endormir mais pour discerner et pour agir plus justement.


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