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« LE CARNET DE ROUTE D’UN(E) MIGRANT(E) » (1)

PÔLE FORMATION & RECHERCHE
Institut Saint-Simon

Par Fatna BELGACEM, Formatrice sur le site d’Albi

Formatrice auprès des futur(e)s éducateur(trice)s spécialisé(e)s à l’Institut Saint-Simon - Arseaa (organisme de formation en Travail Social), j’ai dû, en raison de la crise sanitaire et du confinement, m’adapter à de nouvelles modalités pédagogiques de formation à distance.
Afin de ne pas coller au schéma classique de la transmission descendante du savoir, avec des cours magistraux parfois trop théoriques, j’ai souhaité mettre en œuvre une pédagogie active.
Ainsi, pour permettre aux étudiant(e)s de travailler sur la thématique des droits des migrant(e)s, plus précisément autour des représentations des statuts des étranger(ère)s (sans papiers, demandeurs d’asile, réfugié[e]s…), j’ai inventé et proposé une démarche différente à travers un projet de travail collectif intitulé « Le carnet de route d’un(e) migrant(e) ».

Les étudiant(e)s et apprenti(e)s de première année de la promotion 2019-2022 du site d’Albi ont se sont prêté(e)s à cet exercice pédagogique ; je les en remercie. Par groupes de quatre ou cinq, ils (elles) durent imaginer puis écrire en détail le parcours migratoire d’une personne à la recherche d’une terre d’accueil, en décrivant son profil, en indiquant les causes de son départ de son pays d’origine, en racontant les étapes et les péripéties de son parcours, en indiquant les moyens de transport utilisés, en précisant les conditions de son arrivée en France ou dans un autre pays Européen, etc.

Afin de produire son exercice, chaque groupe devait s’appuyer sur des textes internationaux, européens et nationaux pour défendre les droits des personnes qui demanderaient l’asile et, donc le statut de réfugié. Chaque groupe devait également prendre en considération les dispositifs humanitaires existants pour accueillir les personnes migrantes.

À l’issue de ce travail écrit, une restitution orale a été réalisée devant l’ensemble de la promotion. La diversité des récits à la fois fictifs et réalistes présentés pendant environ vingt minutes a permis à l’ensemble des apprenant(e)s d’entrevoir combien les parcours migratoires s’apparentent souvent – sinon toujours – à de véritables « parcours du combattant », et que les lois, hélas, ne protègent pas systématiquement les personnes migrantes.
À travers cet exercice qui comporte une dimension ludique, plusieurs objectifs sérieux étaient visés : travailler en groupe ; travailler les représentations individuelles et collectives ; identifier et exploiter des ressources pertinentes ; être à la fois imaginatif et réaliste ; acquérir des connaissances à propos des droits des migrant(e)s, des systèmes frontaliers, des textes législatifs ; expérimenter l’écriture collective ; restituer son travail à l’oral.

En lisant les écrits des étudiant(e)s, à la fois créatifs, de bonne facture et qui renvoient à ce qu’il y a de plus profond dans l’humain, j’ai pensé qu’ils méritaient d’être partagés. Dans une volonté de valoriser leur travail, j’ai alors pensé à Lien Social, qui a répondu favorablement…
Au sein de notre organisme de formation, ce travail sera mis en perspective dans la cadre de conférences auxquelles nous commençons à réfléchir avec les étudiants.

Par Emilie Vidal, Elise Guybert, Zélie Mobian, Auriane Liénard
Fuir la Tchétchénie homophobe

Je m’appelle Abou, j’ai 25 ans et je viens de Grozny en Tchétchénie. J’ai un master en droit et je souhaite devenir avocat. Je suis homosexuel et cet aspect, qui pourrait vous paraître banal, ne me permet pas d’exister dans mon pays. Je risquais ma vie. Ma communauté et moi sommes tellement réprimandés que, selon le porte-parole du gouvernement tchétchène, Alvi Karimov, les LGBT ne sont pas présents et n’existent pas dans son État. Chez moi, depuis mon adolescence, je suis victime de nombreux délits de faciès, par les forces de l’ordre et beaucoup de civils. Je me sentais différent par rapport aux autres. Je ne rentrais plus dans les critères sociaux. Mon entourage n’a pas su se montrer présent et soutenant dans cette période de ma vie. Je n’avais plus d’amis. Les regards extérieurs étaient uniquement malveillants, m’empêchant ainsi de sortir. Je subissais constamment des agressions. Je suis jugé sur mon apparence physique, sans se poser de question… Mais moi, c’est comme ça que je me sens moi-même, et je n’ai pas envie de changer ce que je suis. Je suis homosexuel, et je ne veux pas renier ce que je suis, ce qui fait mon identité.
Ma vie était en danger. En effet, Ramzan, dirigeant de la Tchétchénie est un extrémiste. Il est impliqué dans de nombreux cas de torture et de meurtres. En 2017, un journal d’opposition russe dénonce enfin la répression contre les homosexuels. Les grands risques que nous encourons sont divulgués : être fichés par les services de sécurité, être victimes de chantage. On peut même être assassinés dans d’atroces conditions, vous vous rendez compte ? Si par miracle, nous arrivons à survivre, nous risquons l’incarcération dans des prisons qui ne respectent en rien nos droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ! Cette dernière précise dans l’article 5 que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » La violence est soi-disant bannie mais regardez bien la réalité du pays ! Nous sommes torturés sans fin, nous sommes laissés pour morts. Nous ne pouvons même pas trouver de protection auprès de la police. Elle nous arrête illégalement, nous fait subir des passages à tabac et nous humilie… J’avais même peur de mes proches… Ma famille pouvait même en arriver à me dénoncer, m’humilier, me frapper voire me tuer.
Mais, en mai 2017, la situation était telle que certains pays de l’Union Européenne (UE) ont décidé d’accorder des demandes d’asile aux homosexuels persécutés. J’ai toujours eu l’idée de vivre en France, je parlais un peu français à cette époque et c’est un pays où les droits de l’Homme sont appliqués. Les homosexuels ont leur place au sein de la société au même titre que les hétérosexuels. A la différence de mon pays où les violences sont motivées, ici les insultes homophobes ainsi que les agressions sont pénalisées depuis 2004. Je suis donc parti en cette direction, poursuivre ma vie. Quitter son pays est un droit édicté par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Je l’ai plus vécu comme une contrainte que comme un choix. Je n’ai pas demandé de visa pour partir en France, cela coûte cher et c’est très surveillé. Dans ma situation cela représentait encore un risque. C’est ainsi que je me suis jeté dans le premier bus, direction Kiev en Ukraine, première étape de mon long voyage. J’y suis resté une nuit et le lendemain j’ai pris un second bus pour Wroclaw où je me suis fait piller. Ces personnes m’ont pris toutes mes affaires. Il ne me restait que quelques billets en poche. Malheureusement, j’ai été stoppé à la frontière polonaise par l’agence Frontex. C’est une agence mise en place par l’UE, opérationnelle depuis 2005. Elle utilise des moyens humains et militaires disproportionnés pour empêcher les migrants d’entrer sur le territoire de l’UE, alors que le droit d’asile existe. Ceci m’a poussé à prendre un autre chemin plus hostile, en pleine nuit, dans la forêt. Je ne voyais rien et j’ai dû passer sous les barbelés de la frontière. C’est comme ça que je me suis retrouvé en Pologne. J’ai ensuite marché pour finalement prendre un bus qui m’a conduit en Allemagne et enfin un dernier pour arriver à Paris.

En France, j’ai rapidement trouvé de l’aide grâce à des associations. Elles m’ont logé et nourri pendant quelques jours et m’ont expliqué que je pouvais demander l’asile, même si c’est une procédure très longue. Le Point d’Accueil des Demandeurs d’Asile (PADA) m’a remis un formulaire de demande d’asile et a pris rendez-vous à la préfecture pour moi. J’ai dû attendre 5 jours, sans logement, avant d’avoir mon rendez-vous. Toutes mes économies étaient passées dans mon trajet. A la préfecture, ils ont relevé mes empreintes. Heureusement, elles n’avaient pas été relevées dans un autre pays sinon, la procédure de Dublin aurait dû s’appliquer. Le premier pays où je suis passé aurait pu les prendre, m’obligeant ainsi à rester dans ce pays. Si mes empreintes avaient été prises en Allemagne, la France m’aurait renvoyé en Allemagne pour déposer ma demande d’asile, alors même que mon choix était de vivre en France.

A la préfecture, après le conte de mon parcours et mes motivations à demander l’asile en France, on m’affirme que je peux y prétendre, selon l’article 18 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques. Suite à ce rendez-vous, la procédure normale de demande d’asile a été appliquée. J’ai réalisé mon deuxième entretien à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) où j’ai encore une fois raconté mon parcours. Émotionnellement, ce n’était pas facile. Durant la procédure, plein de documents d’identité m’ont été demandés, ainsi que des preuves de la violence que j’ai vécue. Ils m’ont proposé une place en Centre d’Accueil pour Demandeur d’Asile (CADA). J’étais soulagé. Enfin, j’avais un hébergement et je pouvais commencer des démarches administratives pour trouver un travail et construire une vie en France. Ma demande d’asile a été étudiée pendant onze mois et non six mois comme c’est le cas depuis la loi « asile et immigration » de 2018. J’ai appris que j’avais obtenu le statut de réfugié, en application de la Convention de Genève de 1951 créée pour permettre aux personnes victimes de persécutions de chercher protection dans un pays tiers. Ces persécutions peuvent être d’ordre politique, ethnique ou social.
Ma vie a pris un nouveau tournant. Je peux me marier avec un homme. J’ai appris que c’était possible depuis déjà 7 ans ! Un jour je pourrais même devenir papa d’après la loi. Mais, malgré une politique en faveur des homosexuels, ma place dans la société est vulnérable. Certains français n’acceptent toujours pas cette orientation sexuelle… Je ne me plains pas, je ne vis pas autant de violence et n’encours pas la mort au même titre qu’en Tchétchénie. J’ai même repris le droit. Je suis heureux !