N° 1323 | Le 20 septembre 2022 | Par Solène Roubertou, éducatrice spécialisée | Échos du terrain (accès libre)
Il est des professionnels qui finissent leur carrière en écrivant. Jeune
éducatrice, Solène Roubetrou, l’a commencée, en publiant…
« Gardez l’illusion que vous pourrez changer le monde ».
Je me rappelle cette phrase comme une bouée à laquelle m’accrocher en dernier recours. Ces quelques mots balancés anodinement, à ma rentrée en formation, n’auront jamais cessé de me faire vibrer.
« J’arrête, je ne peux plus »
Deuxième année de formation, j’ai balancé ces mots avant de tout plaquer car tout me semblait trop lourd, trop dur. Je ne savais plus trouver la force. Je n’y arrivais plus. Je buvais la tasse en permanence sans arriver à recracher l’eau qui m’étouffait. Aujourd’hui, j’ai compris que cette formation était aussi belle que traumatisante. Je n’étais pas encore professionnelle et déjà au bord de l’implosion.
« Après ces trois ans, je ne suis plus la même »
Et face à moi, ces gens qui s’étonnaient, qui me disaient que j’abusais. Ils ne savent pas, pensais-je bêtement. Ils ne connaissent pas la dureté de certains mots ou gestes et puis ne connaissent pas le bonheur de voir naître un sourire sur un visage fermé depuis des semaines. Tout cela, ces choses pouvant paraître si insignifiantes, ne laissent pas indemnes. Cette formation qui casse, qui reconstruit, qui est si belle et si forte, ne peut laisser indemne qui que ce soit. Enfin, je crois ou plutôt je l’espère.
« On n’a pas besoin de toi, salope ! »
J’ai parfois le sentiment que tout est violence dans cette institution. La violence des mots, des coups, des gestes. La violence entre les jeunes, avec les familles, de la part de professionnels. La violence des situations rencontrées. De celles qui t’obligent à faire une pause lors de la lecture du dossier, de celles qui te coupent le souffle, de celles qui te fendent le cœur, mais aussi de celles qui te donnent envie de baisser les bras. Cette injustice et les pourquoi sans réponses qui continuent inlassablement de faire mal.
« Arrête de faire ta contestataire »
Oh combien cette phrase a sifflé dans mes oreilles. À écouter mon entourage relativement éloigné du domaine, il ne fallait ni descendre dans la rue les jours de manifestations, ni rédiger son mécontentement dans des revues sociales. Cela m’a d’abord touchée, le fait qu’assez naïvement ils ne comprennent pas. Je n’ai pu que trouver sens en marchant à côté de ceux qui revendiquaient davantage de moyens. D’autant plus, lorsque j’ai fêté les 18 ans d’un jeune, avant de devoir le mettre dehors. Ce même jeune que j’ai trouvé en train de mendier, dès le lendemain de sa majorité. Alors, non, je ne pouvais les laisser me juger sans leur expliquer la nausée qui s’empare alors de ton corps entier.
« Mais de quoi parle ton livre ? »
À la parution de mon premier ouvrage, cette question a résonné longuement en moi. Il abordait mes prémices à bord du navire chancelant de l’éducation spécialisée. Alors je me démêlais avec les mots pour y répondre. Il parle de la mort mais surtout de la vie, de la violence mais aussi de la passion. Surtout il parle de ce qui nous permet d’osciller entre ces extrêmes et de nous empêcher de sombrer dans l’un ou l’autre. En deux mots, il parle de la force des relations humaines.
« Je ne pourrais pas faire ce que tu fais »
Je vous imagine sourire. Qui n’a jamais entendu ces mots ? Et à moi de leur assurer que c’est normal, car personne n’est habilité à le faire. C’est vrai quoi, qui veut encaisser du trauma à longueur de journée sans aucune reconnaissance et puis surtout, qui a les épaules pour le faire ? Je ne cesse de me le demander.
« Le social c’est loin d’être tout rose »
Oui, c’est vrai, c’est loin d’être tout rose. Mais, bon sang, qu’est-ce que ça peut l’être ! C’est pour ça que malgré tout ce qui ne va pas et chacun ici sait comme la liste est longue, malgré tout ça, le reste a une valeur inestimable. Ces choses aussi simples et pures que nous partageons avec ceux qui se trouvent à nos côtés, sont juste magiques. Ces choses-là, je le promets, elles font pencher la balance. C’est pour ça que nous sommes là, pour ça que l’on se bat, alors sachez que le jeu en vaut la chandelle. Et si vous perdez des ailes en route, prenez le temps pour vous, le travail social n’est pas le seul domaine passionnant dans lequel il faut être passionné. Ces choses-là, aussi indescriptibles soient-elles, qui nous poussent à chercher des capacités sous estimées en nous. Ces choses-là qui gomment un petit peu du trauma que nous vivons en ayant écouté cette vocation. Ces choses-là qui poussent à nous relever, à comprendre un peu plus ce qu’est la résilience. La leur d’abord et parfois aussi, la nôtre.
La valeur n’attend pas le nombre des années

Trouver ses limites

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