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🎥 - CINÉMA : Bienvenue en MECS !

En sortant de la salle obscure, je me suis interrogĂ© : que peut ressentir un spectateur nĂ©ophyte, aprĂšs cette immersion de prĂšs de deux heures au cƓur d’une maison d’enfants Ă  caractĂšre social (MECS), vĂ©ritable protagoniste central du film « PlacĂ©s » ? D’une brusquerie dĂ©rangeante, ces mĂŽmes qui crĂšvent l’écran ne provoquent-il pas, au final, la mĂȘme empathie et la mĂȘme congruence que celles qui s’emparent trĂšs vite de beaucoup de professionnels d’internat Ă©ducatif ? La rĂ©ponse Ă  cette question est sans doute Ă  rechercher dans ce trouble que provoque ce public, dĂšs qu’on s’en approche. Car, derriĂšre tant de provocations, de tapage et de railleries percent la dĂ©tresse, la fragilitĂ© et la souffrance. On ne peut qu’ĂȘtre touchĂ© par cette humanitĂ© violentĂ©e qui en Ă©mane. Le film de Nessim Chikhaoui est d’une authenticitĂ© et d’une prĂ©cision singuliĂšres qui tranche avec les idĂ©es reçues et les prĂ©jugĂ©s caricaturaux si souvent vĂ©hiculĂ©s par les mĂ©dias. Rien d’étonnant Ă  cela, puisque le rĂ©alisateur a exercĂ© pendant dix ans comme Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© en MECS. Le cinĂ©aste met en scĂšne son vĂ©cu professionnel : et cela sonne juste ! Bien-sĂ»r, le scĂ©nario est un concentrĂ© de situations qui pour ĂȘtre parfois poussĂ©es Ă  l’extrĂȘme, n’ont pourtant rien d’exceptionnelles. Le « vrai » quotidien des MECS n’est pas fait que de ces crises, de ces Ă©clats de voix et de ces tensions. La banalitĂ©, les petits-riens, les instants ordinaires peuplent aussi l’essentiel de leur espace-temps. Mais, tout cela ne suffirait pas Ă  retenir l’attention du spectateur. De ce condensĂ©, on retiendra quelques personnages. Corinne, la maĂźtresse de maison qui n’est sans doute pas trĂšs performante quant Ă  la rĂšglementation HSCCP, mais qui veille avec une bienveillance toute maternelle sur « ses enfants ». Marc, le Directeur qui doit rĂ©soudre tous les problĂšmes Ă  la fois, en Ă©vitant de se laisser submerger. Une Ă©quipe Ă©ducative riche de d’émotions, de postures et caractĂšres divers, vĂ©hiculant autant de problĂ©matiques que n’importe quel autre collectif de travail. Et puis tous ces ados qui n’ont pas terminĂ© de gĂ©rer un passĂ© douloureux, qu’il leur faut dĂ©jĂ  se confronter Ă  un avenir improbable 
 Avec en exergue, Emma si proche de ses 18 ans, qui mesure la menace qui pĂšse sur elle : se retrouver Ă  la rue 
 comme tant de jeunes majeurs Ă  qui l’Aide sociale Ă  l’enfance signifie la fin brutale de tout accompagnement. L’adolescente vit Ă  nouveau le traumatisme qui l’a poursuivie toute sa vie : Ă  nouveau abandonnĂ©e (mais cette fois-ci par des Ă©ducateurs ravagĂ©s par la culpabilitĂ©), aprĂšs l’avoir Ă©tĂ© par sa mĂšre et par sa famille d’accueil ! C’est tout ce petit monde, qu’Elias dĂ©couvre. Il n’est que de passage. Il fait partie de ces personnels « faisant fonction », sans formation qualifiante prĂ©alable. Son adaptation est rapide. C’est vrai que plonger dans un tel tourbillon peut provoquer, Ă  l’extrĂȘme, deux types de rĂ©actions opposĂ©es : soit s’enfuir en courant trĂšs vite, soit ĂȘtre pris dans les rets d’un attachement addictif. Les scĂšnes se succĂšdent, pleines d’humour et de colĂšre, de tendresse et d’orage, de bonheur et de dĂ©sespoir. Elles Ă©meuvent et elles font rire. Elles rĂ©voltent et elles font peur. Elles enflamment et elles donnent le vertige. Elles suscitent la grĂące et elles crĂ©ent le malaise. Tout ce qui se vit successivement et parfois en mĂȘme temps se niche au cƓur de cette aventure improbable qu’est l’accueil d’enfants en MECS. Bel hommage Ă  une profession par trop invisible, notable reconnaissance d’une protection de l’enfance si souvent dĂ©criĂ©e, incomparable tĂ©moignage sur la rĂ©alitĂ© contradictoire des placements. Si, bien sĂ»r, personne ne pourra prĂ©tendre que les maisons d’enfants Ă  caractĂšre social, ce n’est que cela 
 on peut affirmer sans ĂȘtre contredit que c’est aussi cela.

Jacques Trémintin