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26 juin 2023

🎥 CINÉ • Roulette russe

Une jeune cinéaste décide de filmer la « Russie de la déprime » à partir de sa propre histoire, de sa jeunesse en faillite, de son couple. La toile de fond — un régime violent et autocratique — n’est pas escamotée.

Seize ans et obsédée par le suicide. Marusya, adolescente, pense qu’elle n’est qu’un échantillon banal du désespoir de la jeunesse russe. Sur ses murs, Kurt Cobain [fondateur du groupe Nirvana, qui se suicida à 27 ans], idole absolue. Autre référence, Ian Curtis, musicien du groupe punk Joy division qui, lui, s’est pendu à 23 ans. Pourtant la jeune fille a résolument intégré dans sa vie la poésie, l’humour — certes noir de préférence — et surtout l’amour.

Conte de fée crépusculaire Avec Kimi, celui qui deviendra son mari, dont elle peint avec un humour caustique, mordant, un portrait dithyrambique, quasi sanctifié, elle va vivre des heures joyeusement autodestructrices. Caméra en main, elle filme la déglingue, la drogue de plus en plus dure, les amis qui disparaissent autour d’eux. Du fond de leur désespoir, tous deux cabotinent un max, mais on sent bien que l’affaire est grave.

Même pas peur « — Ça fait peur, de mourir ? — Non ! C’est ressusciter qui est difficile », admet Kimi. Autodestruction programmée : drogues, méthadone, cures à répétition, médocs en tous genres… Kimi joue à l’immortalité — se jette d’un haut pont dans l’eau en un héroïsme douteux — sans toutefois être dupe, continue d’écrire ses poèmes. « Comment garder quelqu’un qui fait tout pour disparaître ? » s’interroge sa femme, qui n’arrête pas de filmer son homme.

Désespoir politique Le vaste pays vit un régime autoritaire. Des images de répression s’égrènent sur fond musical de Nirvana. La « gloire de la Russie » est partout à l’ordre du jour. De jeunes opposants demandent la libération des prisonniers politiques. L’engagement de la cinéaste est clair : « en permettant à Poutine de rester au pouvoir pendant tant d’années, en lui permettant de détruire méthodiquement et sans contrôle la société civile russe, en fermant la presse indépendante […], nous, le peuple russe, avons fertilisé le terrain pour cette terrible guerre [celle de l’Ukraine, initiée le 24 février 2022, ndlr] ».

Spirale de mort « Merci d’avoir été d’excellente compagnie, Kimi. Tu me manques »… Kimi a mis fin à ses jours le 4 novembre 2016. Pourtant, que de souffrances… : épuisée par les mensonges, Marusya avait fini par divorcer, sans cesser d’aimer ; Kimi avait sombré jusqu’à la psychiatrie, via de multiples réanimations, dans une spirale mortelle. Et consentie.

Immortalité de l’amour Non seulement elle filme l’être aimé sous toutes ses fragiles coutures, mais l’amante va plus loin : elle scanne le corps de Kimi avec une application de sonification pour… le transformer en musique. De lui, restent donc, post mortem, poèmes, images, musique. « Peut-être que filmer était devenu pour moi ce que la drogue était devenue pour Kimi », observe encore la réalisatrice, survivante de son couple.

Joël Plantet

How to save a dead friend
Un documentaire de Marusya Syroechkovskaya. 1 h 43.
Sortie en salles le 28 juin.

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