N° 1249 | Le 16 avril 2019 | e la part des familles Roms de Champs-sur-Marne et du collectif Romeurope du Val Maubuée | Espace du lecteur (accès libre)

Lettre ouverte à Monsieur le Président

Thème : Exclusion

Monsieur le Président

Nous sommes quelques familles Roms de nationalité roumaine installées depuis six ans dans des bidonvilles sur le territoire du Val Maubuée et plus précisément sur la commune de Champs-sur-Marne (77). En tout, nous sommes environ 500 personnes à vivre dans des conditions particulièrement difficiles, mais qui nous sont imposées, de fait, par la nécessité qui est la nôtre de vouloir vivre et travailler en France et permettre ainsi de donner à nos enfants des perspectives pour un avenir meilleur. Comme vous pouvez vous en douter, cette situation d’une grande précarité est renforcée par le fait que le propriétaire (EPA Marne) des terrains sur lesquels nous sommes installés, ainsi que la collectivité locale de Champs-sur-Marne, ont engagé à notre encontre des démarches administratives ou judiciaires aux fins de nous contraindre à quitter ces lieux.

La fin de la trêve hivernale risque de signer une fois encore la fin de notre bidonville. Toutes les familles concernées seront jetées à la rue, sans qu’aucun diagnostic ni réflexion sur des solutions alternatives dignes et stables n’aient pu avoir lieu. Et pourtant un certain nombre de nos enfants sont scolarisés, malgré les barrières érigées par les élus locaux et certains d’entre nous ont aujourd’hui un travail et parfois en CDI.

Durant ces six années, nous avons dû subir environ 80 expulsions (demandées par le propriétaire ou la mairie, et exécutées par le préfet), qui n’ont fait qu’aggraver la précarité de notre situation et ont aussi coûté cher à la collectivité.
Nous avons, avec le collectif qui nous accompagne, pris bonne note de votre volonté de résoudre ces situations d’habitat indigne, en particulier par la mise en place de stratégies territoriales et la recherche de solutions pérennes et adaptées prévues par l’instruction du 25 janvier 2018. Nous avons donc entamé ensemble une réflexion qui nous a conduits à la fois à nous questionner sur notre volonté de poursuivre notre vie ici, mais aussi sur la recherche de solutions constructives, et sur les conditions nécessaires à la mise en œuvre de projets de cette nature.

Nous sommes aujourd’hui parfaitement conscients des difficultés que de tels projets peuvent poser, mais notre souhait de pouvoir mener, ici, une vie normale, après des années de cette immense précarité, veut montrer notre détermination dans cette démarche.

Nous nous permettons également de vous rappeler que les conditions de vie qui nous sont faites dans notre pays d’origine ainsi que les discriminations dont notre communauté est victime ne peuvent en aucun cas nous inciter à retourner vivre en Roumanie.

Enfin, ces années nous ont aussi permis de nous créer une vie sociale sur le secteur, et d’y avoir des relations riches avec nombre de ses habitants. Notre objectif n’est pas de vivre de la mendicité ou de l’assistanat, pas plus que nous ne souhaitons être un poids pour l’économie de votre pays. Nous désirons par-dessus tout trouver les moyens de devenir autonomes en la matière. Cela nécessite certes un peu de temps, mais surtout un minimum de stabilité et de sécurisation de nos lieux de vies.
Alors, oui, monsieur le Président, nous souhaitons nous installer durablement en France, comme l’ont fait avant nous des centaines de milliers d’immigrants, qui contribuent aujourd’hui à la grandeur et la richesse de votre pays. Nous voulons comme eux, bien que moins nombreux, apporter notre contribution à la richesse de votre pays et vivre en harmonie avec la population française. Si notre propos n’est pas de vous demander de régler la situation de chacun d’entre nous, il apparaît cependant que votre action et les décisions que vous pourriez prendre peuvent, plus que toute autre, contribuer à trouver ensemble une solution globale.

Ainsi nous vous demandons dans l’immédiat, et pour permettre à tous de construire et d’organiser l’avenir, de décréter un moratoire sur les expulsions afin que nous puissions avec les pouvoirs publics à tous les niveaux mettre en place des projets sérieux et humains. D’inviter les acteurs locaux (élus, administrations, associations, collectifs et des représentants des habitants de bidonvilles et de squats) à se réunir pour que des initiatives puissent voir le jour et permettent de construire localement des solutions pérennes et humaines. Nous savons également que des crédits ont été mobilisés pour aider à la mise en œuvre de solutions de ce type et nous vous en remercions et appelons à en mobiliser davantage pour accélérer la dynamique de résorption des bidonvilles.

Nous restons à votre disposition pour développer plus amplement ces questions si vous le souhaitez. Nous restons en attente de vos décisions et mettons tous nos espoirs dans votre volonté de voir ces questions trouver enfin des solutions humaines et pertinentes pour nous et nos enfants. Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, monsieur le Président, l’expression de notre plus haute considération.