N° 1243 | Le 22 janvier 2019 | par Sylvie Kowalczuk, assistante sociale, auteure | Espace du lecteur (accès libre)

L’image du travailleur social

Thèmes : Travail social, Travailleur social

Qui n’a pas entendu les clichés sur les travailleurs sociaux ? Du «  hippy-je-m’en-foutiste  » à la «  psychorigide-en-tailleur-et-chignon  », de la «  voleuse d’enfants  » au «  tiroir-caisse-pour-les-fainéants  » ? Avec notre image, c’est aussi celle des usagers qui est égratignée. Difficile de faire bouger les lignes tant ces représentations restent ancrées dans l’imaginaire collectif. Dommage que nous soyons les seuls à savoir que la profession de travailleur social «  vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer leur pleine citoyenneté  » (Code de l’action sociale et des familles).

Comment expliquer un tel décalage entre la réalité et l’imaginaire ? Quand nos missions visent à lutter contre toutes les formes d’exclusion, à accompagner la protection de l’enfance et des adultes vulnérables, à mener vers l’inclusion sociale et / ou professionnelle… ? Est-ce que le «  hippy-je-m’en-foutiste  » n’est pas au final un travailleur social assez large d’esprit et formé au non-jugement, acceptant de comprendre, dans une posture humaniste, l’humain en détresse qui se présente à lui, pour travailler avec lui sur la résolution de sa problématique ? Alors, oui ! il se contrefout de sa race, de sa couleur, de ses opinions politiques, de sa religion ou de sa nationalité. En revanche, il sera attaché au respect, à la bienveillance, au secret professionnel. Est-ce que la «  psychorigide  » n’est pas au fond la représentation symbolique des procédures parfois nécessaires, qui régissent nos professions, et surtout le cadre dans lequel nous évoluons, permettant ainsi une large équité dans le traitement des demandes ? Alors oui ! l’assistant social est issu d’une formation réglementée, régie par le Code de l’action sociale et des familles, justifiant ainsi d’une professionnalisation rassurante.

Est-ce que le «  tiroir-caisse-dispendieux  » ne refléterait pas la tendance actuelle à prendre les bénéficiaires des minima sociaux pour les fautifs de leur propre précarité, dans un contexte de récession ? Il fut un temps où la pauvreté inspirait de l’empathie et une attitude plus juste face à la souffrance d’autrui. Léon Bourgeois, dans son essai sur la solidarité, insiste sur le fait que la solidarité est un devoir humain pour sa propre survie et qu’elle doit être établie par l’État dans sa responsabilité à faire vivre les citoyens entre eux dans la justice et la sécurité. Alors, oui ! les travailleurs sociaux seraient des vecteurs essentiels du rétablissement de cette sécurité et de cette justice sociale. Qu’en est-il de la voleuse d’enfants ? Sujet sensible et ambivalent qui résonne en chacun d’entre nous. Lorsqu’un cas de maltraitance est relaté dans les faits divers, on se demande «  ce que font les services sociaux » ! Lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, on trouve les services sociaux «  sans cœur  » ! Faut-il rappeler que seul le juge des enfants est habilité à confier un enfant à l’ASE, et que cette décision arrive quand toutes les autres solutions ont été travaillées ?

Obstacle à la prévention

Face aux restrictions budgétaires, les missions de prévention, présentes dans les perspectives, diminuent sur le terrain : manque de personnel, de moyens… Le travailleur social exprime souvent un travail dans l’urgence excluant ainsi tout accompagnement social efficace. Pourtant, on peut aisément penser que l’économie passe par la prévention. Par exemple le suivi d’un enfant en AED coûte moins cher qu’un placement en famille d’accueil, sans compter la charge émotionnelle pour tous les protagonistes. De même, laisser du temps aux travailleurs sociaux pour faire du collectif, et mettre en place un véritable accompagnement social au lieu de les enfermer dans des prescriptions standardisées niant la qualité unique de la personne accompagnée, permettrait également de faire des économies. Comme l’affirme Yann le Bossé : «  nous considérons que les prescriptions qui ne tiennent aucun compte des enjeux spécifiques de l’ensemble des acteurs sont vouées à l’échec  » (Soutenir sans prescrire, éditions Ardis). Laissez les tâches administratives à la filière administrative qui comme son nom l’indique est compétente en la matière, car jusqu’à preuve du contraire, contrairement à l’accompagnement social, cliquer sur des onglets ou cocher des cases n’a jamais inséré personne !

Parlons le même langage avec nos décideurs : prenons l’exemple d’un groupe constitué sur l’estime de soi. Trois personnes étaient bénéficiaires du RSA.

À l’issue du groupe, grâce au travail de l’intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) et de l’équipe pluridisciplinaire, les trois bénéficiaires du RSA ont obtenu un travail, alors même que ce n’était pas l’objectif premier de l’intervention. Ainsi avons-nous pu calculer 17 280 euros d’économies sur 12 mois. Autrement dit, quand 100 travailleurs sociaux parviennent à travailler avec l’usager sur une sortie positive du dispositif RSA, ces travailleurs sociaux réunis font 1 728 000 euros d’économies !

Dois-je préciser que nous sommes 1,2 million de travailleurs sociaux, dont 33 500 assistants sociaux ? Dommage d’aller chercher ailleurs ce que nous avons sous le nez ! Certains rétorqueront que, compte tenu du contexte économique, d’autres bénéficiaires du RSA entrent chaque année dans ce dispositif, mais les compétences du travailleur social à en limiter l’impact psychologique en accompagnant la personne vers un mieux-être, une insertion sociale et / ou professionnelle est bien réelle, et limite ainsi l’impact sur les finances publiques.

Si l’ISIC est un formidable outil d’amélioration, l’intervention sociale d’aide à la personne (ISAP), qui occupe la majeure partie de notre temps, permet également d’obtenir de bons résultats qu’il serait utile d’évaluer et de faire partager ! Mais la prévention passe aussi par le réajustement de l’image véhiculée auprès de la population. Car qui pourrait espérer être aidé efficacement par un «  je-m’en-foutiste  » ou une «  psychorigide  » ? De même, dans les représentations des étudiants susceptibles d’aspirer à cette profession, qui pourrait s’enorgueillir de vouloir devenir un «  tiroir-caisse  » ou une «  voleuse d’enfant  » ? Quand est-ce que les employeurs vont arrêter de nous voir comme une charge budgétaire, mais plutôt comme un énorme potentiel de changement !

Cachez ces travailleurs sociaux que je ne saurais voir ! Pourquoi ne pas communiquer sur les carrières dans le travail social ? Arrêtons de voir en nous des professions qui dépensent mais plutôt des travailleurs sociaux qui réussissent ! Parfois, cela est usant, parce que la misère humaine n’est plus un concept, mais un tsunami qu’on se prend en pleine figure ! Mais on ne lâche rien ! Et, à côté, il y a de merveilleuses histoires de vie, des rencontres humaines uniques, des persévérances exemplaires qui vous regonflent pour un tour ! On devrait s’emparer des médias pour expliquer notre métier, et partager avec le grand public les réussites obtenues avec l’usager ! Travailler sur l’image, c’est travailler sur la prévention. Trouvons les moyens de changer cette image auprès de la population afin : d’amener les personnes en détresse à venir pousser la porte de notre bureau, de remplir les instituts de formation de futurs collègues motivés et fiers, de convaincre nos employeurs de la plus-value de nos compétences dans leur gestion comptable des problématiques sociales. Le travailleur social a ceci d’extraordinaire qu’il a la merveilleuse faculté de ne rien lâcher, une créativité à toute épreuve. Alors je lance un appel !

Tournons un film, imaginons des sketchs, montons sur scène, écrivons, partageons nos expériences, exprimons-nous ! Montrons-nous ! Faisons en sorte que le travailleur social soit enfin identifié comme une personne ressource tant pour les employeurs que pour les usagers. C’est à nous qu’il incombe de changer notre image. Ne nous prenons pas au sérieux et fonçons !