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✊ Travail social en colère • Lettre à l’ARS

Par Marie-Claire, du Collectif 320000 Invisibles

Nous travaillons avec des personnes dont les difficultés nécessitent qu’elles soient accompagnées. Elles ne peuvent pas seules faire face à la brutalité du monde.
Des enfants et des adultes fragiles dont la société se doit de considérer la singularité, l’individualité, en dehors de tout slogan, déclaration d’intention ou autre priorité quinquennale.
Les besoins de ces personnes ne s’effaceront pas parce que vous avez décidé de réduire les budgets dans le médico-social, en plaçant devant vos intentions réelles un écran constitué de mots et de concepts creux : désinstitutionnalisation, société ou école inclusive, file active, cas critique, zéro sans solution, PAG, PCPE, GOS, etc.
Se gargariser avec la forme en niant le fond, c’est faire violence à toutes les personnes accompagnées dans les structures du médico-social.

Notre premier outil de travail c’est nous, dans notre humanité : écoute, patience, observation… C’est un travail incarné, intellectuellement, psychiquement et physiquement. Et il ne peut pas être fait autrement.
Ce qui n’est pas sans conséquence. Nous nous heurtons aux problématiques des personnes accompagnées et n’avons pour allié que le temps.
Nous devons faire face à la souffrance, à la violence, à l’auto-destruction. Nous sommes souvent destinataires de cette violence.
L’absence quasi totale de prise en compte de la pénibilité de nos métiers par les instances est une violence supplémentaire. La non reconnaissance, y compris et surtout salariale, de l’implication que requièrent nos métiers, c’est du mépris.
Les injonctions, les CPOM, les lubies et les tableaux des bureaucrates sont autant d’insultes à notre expérience et à la connaissance fine que nous avons de notre travail.
Les véritables experts du travail social, c’est nous.

La société aime les belles histoires : les SDF qui s’en sortent, les enfants placés « résilients », les personnes handicapées insérées dans la société. Les médias s’appliquent à nous raconter ces histoires là, ce qui mécaniquement rend invisibles toutes les autres.
C’est un procédé qui permet de justifier les grandes orientations qui visent encore et toujours à réduire les budgets.

La vie d’une institution, c’est aussi un jeune de 25 ans toujours en IME parce que la carence de places en secteur adultes l’impose. Et c’est à nous d’annoncer à la famille que la possibilité d’un accueil de jour en MAS n’est plus d’actualité parce que vous estimez qu’il n’est pas prioritaire.
Cette situation, qui se répète continuellement, nous vous la devons : pas de places en nombre suffisant en MAS ou en FAM, des jeunes adultes qui restent coincés en IME, des enfants plus jeunes qui attendent pour y entrer.
La vie d’une institution, ce sont des professionnels bien évidemment insuffisamment rémunérés au regard de leurs responsabilités, mais qui malgré tout continuent à faire leur travail du mieux qu’ils peuvent.
Dans cette société qui ne valorise que la performance, les personnes vulnérables et celles et ceux qui les accompagnent sont quantité négligeable. C’est indigne de nous tous.
La fragilité des personnes que nous accompagnons demande beaucoup de délicatesse. Prendre en compte chacun dans sa singularité est un travail de dentellière.
Des gens enfermés dans des bureaux, occupés à faire des tableaux pour y faire rentrer des êtres humains, peuvent-ils seulement entendre que la réalité toute crue des individus ne peut pas se transformer en algorithmes ?

Photo : © Collectif 320000 Invisibles