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► LE BILLET de Vince • 1 mètre 45

1 m 45. La bonne réponse est 1 m 45.
Lorsqu’on me demande mon avis sur la bonne distance (ou la juste proximité) dans la relation éducative, j’aime répondre cette absurdité : 1 m 45. C’est très précis 1 m 45. C’est pile poil l’équivalent de la taille d’une Mimie Mathy plus celle d’un iPhone 12.
Ainsi, c’est très simple, lorsque vous vous posez la question de savoir si vous êtes à la bonne distance d’une personne accompagnée, il suffit d’allonger Mimie Mathy et un iPhone 12 entre vous. Si vous ne possédez pas d’iPhone 12, le 10 fera très bien l’affaire puisqu’il fait approximativement la même hauteur.
Bref, tout ça pour dire que cette question a le don de m’exaspérer un peu, vous l’aurez compris. De toute façon, même si je ne suis pas fan de la série Joséphine Ange Gardien, éthiquement parlant je ne me vois pas mettre un iPhone 12 au sol.
Alors je crois que cette notion de « bonne distance » est une illusion. Où se situe la bonne pratique entre le recul qu’on nous demande de prendre et la proximité nécessaire à la qualité du lien ?
Philippe Gaberan nous invite à « oser le verbe aimer » (1) dans la relation éducative. Bon OK mais ça ne veut sans doute pas dire que ça nous autorise à mettre la langue. A contrario, « prendre du recul » dans une situation, ça n’est sans doute pas non plus dans l’idée de réaliser des entretiens au mégaphone.
Et puis peut-on se positionner de la même manière face à celle qui chausse du 37 que face à celui qui chausse du 45 ? Ne risque-ton pas de marcher sur les pieds du dernier si on l’approche autant que la première ? Certes, ça dépend aussi de notre propre pointure vous avez raison. Mais tout de même, il semble assez logique d’adapter ses postures en fonction de l’autre, pas seulement selon sa pointure mais aussi selon son état, ses émotions. Cela dit, objectivement, il est tout de même souvent plus facile de repérer des grands pieds qu’une colère par exemple. La colère, elle peut être froide, camouflée. Un grand panard, c’est un grand panard.
Autre exemple, la distance entre l’éduc et Dylan dans la C3 peut-elle autoriser les mêmes modes de communication que la distance entre l’éduc au volant et Kevin au fond du minibus ? Assurément non. Il sera sans doute plus adapté de mettre la main sur l’épaule de Dylan pour calmer ses angoisses et de crier sur Kévin qui fait le singe sur la banquette arrière plutôt que l’inverse.
Toujours est-il que moi je ne sais pas ce que c’est la « bonne distance ». Je me demande même si ça existe. Le psy m’explique bien que c’est ce qui peut favoriser le transfert. Mouais, facile à dire quand tu n’es jamais à moins de 1 m 45 des gamins énervés, c’est-à-dire hors de portée de baffe !
Et si la bonne distance c’était tout simplement ce qui te permettait de toucher l’autre sans rapport tactile automatique ? Je veux dire toucher l’autre au sens affectif : impliquer, émouvoir. Toucher et accepter de se laisser toucher. Toucher quel que soit le nombre de Mimie Mathy et d’iPhones qui nous séparent.


(1) Oser le verbe aimer en éducation spécialisée. La relation éducative, Philippe Gaberan, Éd. Érès, 2019.