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Il parait que l’on s’éclate en prison ! Comme un vieux marronnier des repas de famille, nous avons eu droit dernièrement à une litanie de discours réactionnaires basés sur la méconnaissance de la réalité que sont les lieux d’enfermements. « Ils l’ont bien cherché, on ne va quand même pas leur payer des entrées à Disneyland ! » entend-on. Mais si la sanction est la privation de la liberté pour payer sa dette à la société, ce n’est surement pas la privation de la dignité. Mon propos ici n’est pas de revenir sur les conditions de détention, de témoigner de mon vécu d’éducateur à ce sujet, cela a déjà été fait. Je souhaiterais, tout au plus, amener quelques éléments de compréhension sur notre société punitive et la violence institutionnelle que représente le milieu carcéral. Il faut relire Foucault, Goffman, entre autres. Que nous disent-ils ?
Foucault, dans Surveiller et punir (1), parlait de la prison comme d’un nouveau type de pouvoir disciplinaire, celle-ci visant « l’assujettissement » du détenu. L’incarcération serait une violence plus profonde et diffuse que le châtiment corporel. Ne nous étonnons pas que la prison ne « réforme » pas le déviant mais qu’elle soit bien une forme de violence légale. Il appuie ses propos sur le modèle du « panopticon » de Bentham, maison d’inspection inventée à la fin du XVIIIe siècle, dont le principe est simple : une tour centrale permet aux geôliers de surveiller, sans être vus, tous les faits et gestes des prisonniers, enfermés en cellules dans un bâtiment en anneau encerclant la tour. Il s’agit de rechercher trois effets. D’abord, provoquer chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité assurant le fonctionnement automatique du pouvoir ; faire en sorte que la surveillance soit permanente dans ses effets ; faire que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir.
Plus proche de nous, Didier Fassin dans Punir, une passion contemporaine (2) avance qu’au cours des dernières décennies, les sociétés se sont faites plus dures, plus répressives, et nous propose de repenser la place de la punition dans notre monde contemporain. Ainsi, l’élève, le malade, le déviant sont soumis à cette société disciplinaire instituant « le règne du normatif », du conformisme. La société de surveillance nécessite d’isoler les déviants.
Goffman de son côté, permet d’en apprendre beaucoup sur le fonctionnement institutionnel, ses dérives et sa production de violence. Il décrit dans Asiles (3) le concept d’« institution totale », en soulignant ses caractéristiques. Il s’agit, pour Goffman, de décrire une institution bureaucratisée à l’extrême par une grande rationalisation, un système des plus rigides qu’il faut contrôler par la mise en place de règles strictes. Dans ce système totalisant, le désir humain se trouve invalidé. Ainsi, il est possible que dans ce type d’établissement, la priorité soit donnée au fonctionnement plutôt qu’aux usagers. C’est un glissement, une déviance, un « tout contrôle » afin de maîtriser l’humain dans un ensemble institutionnel total.
Dans ce contexte, l’institution encourt le risque de se refermer sur elle-même, dans une organisation quasi-autarcique, où la culture de l’institution devient rigide et autonome, niant alors la vie extérieure ou s’y substituant. Par ailleurs, la promiscuité y règne, sans prise en compte du corps de l’être, ce qui est aussi une violence significative. Enfin, ne laissant rien au hasard, l’espace est lui aussi sujet à une emprise sur l’appropriation individuelle des lieux par les usagers.
Isolement, rationalité, contrôle quotidien des usagers. C’est un véritable système pensé et organisé qui régit ces lieux totalitaires ou totalisants.
Je vous épargne le sempiternel débat sur les moyens peu existants, que ce soit sur les conditions de vie ou de réinsertion des personnes détenues. C’est une question d’idéologie, de choix de société.
Victor Hugo disait « ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ».


(1) Foucault M., Surveiller et punir, Gallimard, 1975.
(2) Fassin D., Punir une passion contemporaine, Points, 2020
(3) Goffman E. Asiles, Les éditions de minuit, 1968


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