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► LE BILLET de Ludwig • Aide et compassion

Un temps intervenant social en CADA (1), j’ai eu devant moi des personnes qui avaient faim, parce que leur carte de paiement OFII (2) avait été bloquée. Composant alors sans fin le fameux numéro vert, je n’entendais que des « tapez 1 », « tapez 0 » au bout du fil du 0800.
« J’ai faim Ludwig, comment je fais pour manger ? »
« Je vais appeler le CCAS pour des tickets d’aides. »
« Allô, non, il faut demander au PMS (3), qui après constitution de dossier, nous oriente les personnes. » « Allô, ici le PMS (..) Ah ce sont des hommes isolés ? Désolé, on ne s’occupe que des familles, essayez de joindre le secours populaire »
« Allô, le secours pop ? »
Fatigué. Fatigué d’impuissance à éponger les souffrances. Fatigué d’empathie et de transferts, de la résonance de la détresse. Qu’est-ce qu’il m’est arrivé ? Fatigue compassionnelle : « état d’épuisement et de dysfonctionnement biologique, psychologique et social, résultant d’une exposition prolongée au processus de stress compassionnel (…) qu’il provoque chez le soignant et qui sont responsables de l’apparition des symptômes de l’état de stress (…), comme la dépression ou l’anxiété généralisée.  »(4) Nous accompagnons, dans une relation d’aide, les personnes en difficultés. Et cela peut avoir un retentissement et entraîner une détresse psychologique, qui arrive quand les professionnels ressentent la souffrance des personnes dont ils s’occupent. Image miroir des émotions ressenties, elle peut apparaître chez toute personne aidante, notamment celles fortement impliquées, et qui survient lorsqu’on est en contact fréquent avec des personnes en souffrance. Nos métiers du care sont les plus exposés. Cette fatigue peut surgir soudainement, sans signaux d’alerte bien nets, et mener à une dégradation générale de l’état de santé du professionnel. Toutefois, divers facteurs de risque peuvent être mentionnés, comme l’exercice d’une profession nécessitant l’empathie, la confrontation à la souffrance, des fragilités antérieures, ou encore des éléments organisationnels.
Je remarquais bien que j’étais plus irritable, en tension, anxieux, culpabilisé de rejoindre mon confort, épuisé physiquement et émotionnellement. Morose aussi. Détaché. Peut-être un brin déprimé ? Et confronté à tant d’impuissance, je perdais le sens et le but de mon travail. Non aidé par une institution en manque de considération, j’ai fini par quitter mon poste. Je vous rassure, je vais bien mieux maintenant !
« Allô, l’OFII ? Ah, enfin. C’est pour débloquer la carte de paiement de monsieur, qu’il puisse faire ses courses »
« Je ne peux rien faire pour vous au téléphone, il faut envoyer un mail, mais nos services sont débordés, voyez avec les restos du cœur ? »


(1) Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (2) Office Français de l’Immigration et Intégration (3) Pôle Médico-Social (4) https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/le-premier-dictionnaire-des-risques-psychosociaux