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► LE BILLET de La Plume Noire • Mais où est passé le sonnet du trou du cul ?

François Durand, éducateur spécialisé de son état, défait la boucle de sa ceinture et les boutons de son pantalon. Il le baisse, accompagné de son slip, jusqu’aux chevilles pour s’assoir sur la lunette des WC et ainsi se délester d’un lourd fardeau. Une fois installé, il pose son regard sur la porte pour y lire les poèmes affichés par son collègue Jérôme Cabriole. La plupart d’entre eux ont disparu et à la place, au centre de la porte, placardé, un immense mot écrit au feutre rouge « Dorénavant, que celui qui a utilisé le dernier rouleau de PQ en remette un en place svp ! » Le point d’exclamation est énorme et ne laisse aucun doute quant à l’état de détresse et d’exaspération de la personne à l’origine de ces mots furibonds. Inutile de réfléchir bien longtemps pour comprendre ce qu’il s’est passé. Elle a dû se retrouver en bien mauvaise posture une fois son œuvre achevée. Petite ou grosse commission ? Le suspens reste entier. François ne peut s’empêcher de sourire en imaginant Vanessa Salon, sa nouvelle collègue - car il en est certain c’est bien d’elle qu’il s’agit - dans cette fâcheuse situation. Dans le même temps il se désole de ne plus voir Prévert, Apollinaire, Césaire, Char, Ferré, … et surtout, le fameux « Sonnet du trou du cul » de Verlaine et Rimbaud. Si Jérôme prenait un soin tout particulier à renouveler régulièrement les œuvres, ce dernier, il ne l’enlevait jamais. Il occupait même la place de choix au centre de la porte maintenant remplacé par les vociférations de la Vanessa motivées par la merde qu’elle devait avoir collée au cul. « Une ode à l’homosexualité ? » ce sonnet se demandaient les deux éducateurs. Que l’on puisse évoquer le trou du cul avec autant d’élégance fascinait François. Un acte de génie, ces vers. François n’est pas vraiment un amateur de poésie, non pas qu’il l’estime sans intérêt, mais en fait elle lui demeure inaccessible. Il ne sait pas la lire. Elle lui apparaît comme la littérature ultime, trop difficile à attraper. Alors, ces quelques minutes passées dans ce lieu, ce temple du recueillement, sont à chaque fois pour lui l’occasion de s’initier à cet art brumeux. Généralement, on ne parle pas trop de ces textes, peut-être que l’endroit où il se trouvent participe de ce silence, mais enfants et adultes emportent toujours en eux quelques mots, une impression de profondeur ou d’incompréhension à l’occasion d’un passage sur la cuvette. Jérôme, dans un mouvement exempt de manifestations démonstratives, entretenait en toute discrétion la poésie de la sacristie. Une démarche sans projets, sans objectifs, juste une proposition, une manière d’habiter l’espace et l’instant, une démarche éducative en somme. Vanessa n’est pas allée jusqu’à virer tous les poèmes mais « Le sonnet du trou du cul » a bien disparu.
François arrache la vindicte de la collègue et la jette à la poubelle. Il regrettera par la suite son geste. Comme si tout cela n’avait jamais eu lieu, ils n’en parleront pas, installant un des premiers non-dits d’une longue série. Vanessa Salon venait d’être embauchée à la place de Jérôme, parti pour d’autres aventures. Elle s’étonnait de ne pas voir affichés sur les murs le « tableau de mise de table » et « les règles de vie. » Une Zéduc qui « pose le cadre » et qui « met en place ». Pas très originale. Ainsi, nouvelle dans cette équipe, pour faire sa place, elle avait trouvé cette méthode infaillible : occuper tout l’espace pour parler de PQ.