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► LE BILLET de La Plume Noire • Horizons

- En fait ton boulot c’est un peu comme le grand frère de la télé.
- Pas vraiment. Le grand frère règle les problèmes, trouve des solutions. Moi, je ne règle rien. La plupart du temps, malgré mon intervention, les problèmes demeurent.

Sur le coup, la jeune femme reste quelque peu estomaquée puis éclate de rire devant cette plaisanterie un rien cynique. Ce jour-là, François Durand, éducateur spécialisé de son état, est avec sa belle-sœur dans la cuisine de ses beaux-parents pour le repas dominical. Le rire passé, elle demande « Mais à quoi vous servez alors ? »
François pourrait répondre, « À quoi servent les gendarmes, puisqu’il y a toujours les voleurs ? À quoi servent les médecins puisqu’il y a toujours les malades ? À quoi servent les politiques puisqu’il y a toujours les chômeurs ? », mais il se contente d’une réponse pleine de compassion le présentant tel un héros des temps modernes. « Tu sais, nous sommes les derniers à nous rendre dans ces quartiers. La police, les médecins, les pompiers, les ascensoristes, plus personne n’y va. Parfois des jeunes, les guetteurs, nous interpellent comme le ferait un douanier à un poste frontière. Ils veulent savoir où tu vas, chez qui, refusent parfois que tu passes. »
Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile pour François de se retrouver face à eux, d’avoir à leur rendre des comptes. « Vous savez, je ne fais que mon travail. », a déclaré un de ces jeunes qui l’empêchait de rentrer dans la cité. Nul doute, il ne fait que son travail. Un travail d’esclave sans horizon. Un horizon qui se résume la plupart du temps à une barre d’immeuble et des esclaves qui ne sont ni plus ni moins que des enfants sauvages qui se demandent où se trouve la loi.
« Bon ce qu’il y a de bien, c’est que nous, les travailleurs sociaux, nous sommes quand même encore bien reçus dans ces endroits. Nous faisons encore partie des gentils. Nous jouissons d’une bonne image. »
Cette surenchère dans la compassion à l’encontre de la profession lui fait prendre conscience qu’il exprime sa pensée à la première personne du pluriel alors que généralement il se refuse à être corporatiste. Surtout quand bon nombre de ses collègues ne sont pas les derniers à refuser de se remettre en question. Tu sais François, il y a un moment pour penser et un moment pour travailler lui a dit un fois sa collègue Marjorie Bourbonnille. Nul doute, elle ne fait que son travail. Un travail de socialisateur sans horizon. Un horizon qui se résume la plupart du temps à un écran d’ordinateur et des socialisateurs qui ne sont ni plus ni moins que des agents qui oublient insidieusement où se trouve la loi.
Comme le grand frère, mais sans les caméras, les travailleurs sociaux s’agitent, transpirent, se bougent, remplissent leur agenda, voient et revoient les familles, cherchent des solutions, veulent résoudre les problèmes. Mais à tenir cette fonction socialisante, ils s’épuisent et ne travaillent pas à tenir une fonction éducative.
Quant au grand frère, nul doute, il ne fait que son travail. Un travail de grand couillon sans horizon. Un horizon qui se résume la plupart du temps à un écran de télévision et des grands couillons qui ne sont ni plus ni moins que le reflet d’un marché qui aujourd’hui fait la loi.



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- Archives : Travail social/Thème : Travail social
- Archives : Métier-Fonction /Thème : éducateur spécialisé
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