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► LE BILLET de La Plume Noire • Confusion des places

« Tu ne trouves pas ça bizarre la manière dont est organisée notre intervention au sein de la Solidarité 13 ? » Comme souvent, Alexandra Dupont, assistante de service social de son état, et François Durand, éducateur spécialisé, s’octroient une petite pause à la terrasse d’un café entre deux visites à domicile. C’est un des petits avantages du travail en AEMO (assistance éducative en milieu ouvert).
-  « Qu’est-ce que tu veux dire François ? »
- « Ben, tu vois, moi je trouve quand même qu’il y a un truc qui cloche dans nos relations avec le juge des enfants. Le boulot d’un juge, pour ce qui nous concerne, en protection de l’enfance, est d’estimer s’il y a danger ou pas pour l’enfant. S’il juge que c’est le cas, il mandate un service, par exemple la Solidarité 13, afin que des travailleurs sociaux puissent exercer une intervention éducative à domicile. »
- « Jusque-là, je te suis mon cher François. Je ne vois pas où est le problème. Danger repéré, Solidarité 13 ou autre association mandatée, travailleurs sociaux nommés. Tout ça me semble plutôt clair. »
- « Oui, jusque-là ça me va. Mais c’est dans les jugements qu’apparaît pour moi la couille dans le potage, qu’un glissement opère. Ce qui me dérange c’est que bien souvent les juges définissent des axes de travail, du genre, “instauration d’une mesure d’assistance éducative en vue de travailler à la restauration du lien mère/fils”, ou encore “en vue de travailler à la remobilisation scolaire de l’enfant”, ou encore “veiller à ce qu’un suivi psychologique soit mis en place”. Bref, le juge oriente l’intervention éducative. »
- « Oui, tu n’as pas tort en effet. D’autant plus que pour beaucoup d’entre nous, à commencer par notre cher chef de service, ces axes de travail deviennent vite des objectifs prioritaires. On s’y réfère constamment “C’est quoi les attendus du juge ?” Qu’est-ce que cela peut bien faire ? Rencontrons la famille et nous verrons bien. S’il existe bien une chose qui nous empêche de penser notre intervention, c’est bien ces putains d’objectifs.
- Mais l’inversion des rôles ne s’arrête pas là. »

- …
- « Dans nos rapports à destination des juges, il nous est demandé de faire des préconisations. Nous devons écrire si nous sollicitons l’arrêt ou la prolongation de la mesure exercée. À mon sens, c’est également un glissement car dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas le juge nous suit. Et après, on a le culot d’expliquer aux familles que seul le juge décide alors que nous orientons grandement sa décision. »
- « Oui, une belle hypocrisie encore… »
- « … notre boulot avec la justice ne devrait-il pas simplement consister à rapporter des éléments au juge afin qu’il puisse évaluer la situation et que lui seul prenne la décision ? »
- « Si je te suis bien, ce que tu avances c’est qu’il y a confusion des places. Le juge oriente l’action éducative et le service éducatif oriente le jugement. »
- « Tout à fait chère Alexandra. Allez c’est l’heure de notre prochaine visite. Allons expliquer à cette mère de famille que l’on va solliciter le placement de son fils, mais que nous n’y sommes pour rien car c’est le juge qui décide. »



Pour aller plus loin, voir les archives sur ces thèmes :
- Archives - Action sociale/Thème : protection de l’enfance
- Archives - Travail social /Thème : Pratique professionnelle