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► LE BILLET de La Plume Noire • Comme je suis


- Tu sais ce que m’a dit Graziella ce week-end ?
- Non, mais je t’écoute puisque tu as l’air de vouloir me le répéter.
Comme bien souvent, François Durand et Jérôme Cabriole, tous deux éducateurs spécialisés de leur état, discutaillaient le bout de gras dans le bureau du home d’enfants
« En fait, moi je trouve qu’éducateur c’est bien comme boulot, car vous pouvez venir au travail comme vous êtes, vous n’avez pas besoin d’être quelqu’un d’autre. »
- Elle a dit ça ? Pas mal.
- Tu vois, cette phrase lancée l’air de rien, à la dérobée, au détour d’une journée ensoleillée…d’ailleurs j’étais en train d’étendre du linge, un peu comme à la maison… s’est incrustée au fond de mon crâne pour me poursuivre tous ces derniers jours.
- En fait, sans vraiment le savoir, elle t’a posé la question de l’identité personnelle et professionnelle.
- Oui, c’est un peu ça. Venir comme je suis au travail m’apparaît inévitable… je ne peux tout de même pas laisser ce que je suis au portail de l’institution… mais il me semble que si j’en reste à cette étape cela n’est pas suffisant pour se revendiquer éducateur.
- Effectivement, il ne s’agit, selon moi, ni de laisser ce que l’on est au portail… ceux qui pensent comme ça sont d’ailleurs à mon avis les plus dangereux d’entre nous, car le problème avec cette vision des choses est que le personnel risque de te revenir en pleine gueule au moment où tu t’y attends le moins… le personnel à distance ou la juste proximité, appelle cette connerie comme tu veux, très peu pour moi. Et dans le même mouvement, se contenter de venir comme je suis est tout aussi dangereux, car ce que je suis, l’autre n’a pas à en faire les frais.
- Mais venir comme je suis est un bon début, tu en conviendras ?
- Oui, mais tu pourras le répéter à cette chère Graziella, c’est insuffisant. Il m’appartient, une fois ce processus repéré, de faire un travail à partir de ce que je suis, pour ensuite faire un travail sur ce que je suis, pour, en bout de course faire un travail de ce que je suis. Dans ce processus j’estime que l’élaboration de mon identité professionnelle va de pair avec celle de mon identité personnelle. En fait les deux sont reliées et je pourrais même dire qu’au bout du compte elles ne font qu’une. Je m’attelle plus à avoir cette exigence à mon encontre qui veut que vivre avec les autres cela s’apprend et ce aussi bien que je sois en face d’un gamin placé, d’un père de famille violent, d’une mère de famille toxicomane, de ma belle-mère au cours du repas dominical ou de ma grand-mère qui ne me reconnaît plus et qui ne va pas tarder à passer l’arme à gauche. Je ne cesse pas de vivre quand je passe le portail de l’institution. Au contraire, j’y pénètre de tout mon être, avec toute ma vie, mon existence pleine, mes sentiments et ressentis, et le professionnel qui se construit n’est rien d’autre qu’un être humain qui travaille sur sa personne afin de faire en tout état de cause “ profession de soi. (1) ”

  1. Rigaud, L. (2011). Vocation/profession. La place du don dans la relation éducative. Le sociographe N°36

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