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► FORUM - Le billet de La Plume Noire Billet N°3 : accueille et tais-toi !

François Durand, éducateur spécialisé de son état, pousse la porte de cette association au sein de laquelle il officie maintenant depuis presque un mois. Passant devant l’accueil il salue Sandrine (1) qui, derrière sa banque, est déjà en train de trier le courrier tout en répondant au téléphone. Avec un léger signe de tête, elle prend le temps de répondre à l’éducateur et le gratifie d’un sourire. Sandrine se trouve en première ligne et reçoit à la volée et tout au long de la journée, les états d’âmes du public. De plus, chaque fois que la porte d’entrée se ferme sans être accompagnée, elle produit un énorme bruit sec et métallique qui lentement mais sûrement entre dans sa tête pour lui provoquer sursauts et migraines. Placée à l’entrée, elle est chargée d’enregistrer sur ordinateur toutes personnes qui se présentent, accueillir leurs humeurs, prendre les messages téléphoniques, rechercher les travailleurs sociaux perdus dans le dédale des couloirs et bureaux afin de les informer de l’arrivée de leurs rendez-vous tout en supportant leurs balais incessants du fait de la présence à ses côtés de la photocopieuse, ainsi que de les maudire car ils et elles lui prennent constamment ses stylos, outils au combien important quand vous vous trouvez à un tel poste. Rien de pire que de chercher de quoi écrire lorsque vous devez noter un message. Elle a beau collé des étiquettes « Accueil », les stylos n’en disparaissent pas moins pour autant. Centrale et isolée, Sandrine est entourée et submergée. Continuant son chemin, l’éducateur, dans un regard complice, se moque d’elle de la voir déjà à ce point dans le jus et le sourire de Sandrine se transforme directement en doigt d’honneur. Il reviendra, aux moments d’accalmies, afin d’échanger avec elle. Sandrine a beaucoup à dire et François a trouvé avec elle une collègue de premier choix. Ils ne se connaissent que depuis quatre semaines et elle a déjà évoqué avec son nouveau collègue son rapport problématique à la nourriture et ses différents passages, dont elle n’est pas vraiment encore sortie, par l’anorexie et la boulimie. Dans ces moments, sa voix et son attitude se teintent d’une certaine mélancolie qui n’en rajoute que plus à la beauté de sa chevelure rousse et flamboyante. François, lui, parle de sa mère et de son trou du cul de père - ce qui fait bien rire Sandrine qui trouve étrange que l’on puisse affubler son père d’un tel qualificatif - qui par son absence à laisser une mère bouffer son fils. Vingt ans en protection de l’enfance pour s’apercevoir que l’enfant à protéger n’était personne d’autre que lui-même. Sandrine et Laurent, assez rapidement, se sont mis à parler d’eux. Mal nécessaire lorsque l’on intervient auprès de personnes victimes de traumatismes plus ou moins incorporés et/ou refoulés. Sandrine a effectivement beaucoup à dire sur sa relation à l’autre, aux autres, ceux qui poussent quotidiennement la porte de cette association. De sa place d’accueil elle pourrait en éclairer plus d’un et une. Mais Sandrine n’est pas invitée à participer aux réunions. Elle n’a pas le diplôme, celui qui autorise à évaluer l’autre, à définir ses besoins, les objectifs, le projet. Alors François lui raconte la psychothérapie institutionnelle, ce rêve fou et anarchiste de Oury et Tosquelles, dont elle ne connaît rien puis tous d’eux partent d’un grand éclat de rire lorsqu’ils évoquent ce collègue travailleur social qui pense pouvoir séparer le personnel du professionnel.

(1) Hormis François Durand, tous les personnages sont fictifs et j’espère que personne ne se reconnaîtra.