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► FORUM - Le Billet de La Plume Noire : toutes les Nigérianes sont des menteuses

En face de François Durand, éducateur spécialisé de son état, de l’autre côté du bureau, elle raconte son histoire, à moins que cela ne soit une histoire ou des histoires. Elle se nomme Joy mais si vous n’avez pas l’habitude cela pourrait tout aussi bien être Blessing ou Glory. L’important est que le prénom loue le seigneur. Cela dit, Celui-là, il est préférable de L’avoir à vos côtés lorsque vous décidez de quitter clandestinement votre pays natal. Chez elle, dans son village du fin fond du Nigeria, dans le Bush, comme toute sa famille, elle n’avait rien. Mais être dans la misère n’est pas suffisant pour obtenir l’asile.
Pour l’OFPRA (1) et la CNDA (2), on ne quitte pas son pays parce que l’on n’a plus rien à manger. Il est nécessaire d’être en danger et de pouvoir, si ce n’est le prouver, au moins convaincre la commission de la véracité de votre propos.
Joy a fui le Nigéria à cause d’un mariage forcé prévu avec « an old man » qui voulait absolument, de même que sa mère, qu’elle soit excisée. Une femme rencontrée sur le marché lui a proposé de l’aider pour venir en Europe, cet Eden sur terre où elle pourrait étudier et travailler. Sur le bateau, en plein milieu de la Méditerranée ; aux côtés de Glory qui fuit un père « Cultiste », et de Blessing qui tente d’échapper à un meurtre commandité par la maîtresse de son mari, une femme puissante ; Joy prie beaucoup en espérant les côtes italiennes. L’Italie, pas assez accueillante, elle se décide pour la France, Marseille, ville ouverte sur le monde et accessoirement, une des plaques tournantes de la traite Nigériane.
Mais en fait, elle n’a rien décidé du tout. La femme du marché est une « Madame », une proxénète si vous préférez. C’est elle qui a choisi de placer Joy sur les trottoirs Français. Les passes y sont plus chères qu’en Italie. La « Madame » pratique un commerce qui ne manque pas de matière première : le trafic d’être humain. Joy doit payer 30 000 euros pour rembourser le prix du voyage. Pour s’acquitter de cette dette, un seul moyen, la prostitution. Si elle refuse, elle est violée, battue. Joy rentre dans le rang. Derrière elle, marchant au pas, elle aperçoit Glory et Blessing, ses sœurs de misères.
A moins que cela ne soit beaucoup plus simple que ça. Joy savait qu’elle allait devoir se prostituer. Un sacrifice nécessaire pour fournir de l’argent à la famille restée au pays. Ce qu’elle ignorait, c’est le montant de la dette (un fil à la patte quasi éternel) et le rythme effréné des passes qui s’enchaînent sans fin accompagnées des conditions de vie misérables qui vont avec.
François Durand écoute Joy. La prostitution, depuis la France, c’est terminé, explique-t-elle. Impossible de savoir si elle dit la vérité. Joy ne peut pas dire la vérité. Dire qu’elle se prostitue et c’est le refus immédiat de la demande d’asile. Pour l’asile, il est nécessaire de prouver l’éloignement du réseau. Alors, elle maintient qu’elle ne se prostitue plus. Et puis c’est préférable. Avouer la prostitution, c’est évoquer le réseau et là, c’est prendre un trop grand risque pour sa vie et celle de sa famille.
Joy, tout comme Glory et Blessing, prise entre le réseau de traite et les exigences de l’OFPRA et de la CNDA nous raconte des histoires. Décidément, toutes les Nigérianes sont des menteuses.


(1) Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
(2) Cour Nationale du Droit d’Asile