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► FORUM - Donner la parole aux enfants placés ou comment faire tomber « l’étiquette ».

Une rencontre entre un ancien enfant placé et un groupe d’adolescents vivant en foyer ? Beaucoup l’imaginent. Ce projet est devenu réalité grâce à une équipe éducative et Jérôme Beaury auteur du livre « Le Bal des Aimants ».
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Que cherchiez-vous à obtenir ?
Laura Godefroy  : Ce projet avait pour objectif de permettre aux jeunes d’échanger sur leurs ressentis et leurs craintes, de bénéficier d’un dialogue plus concret et d’élargir leur vision de l’avenir et de tous les possibles qui s’ouvrent à eux, permettant à certains de retrouver le goût de l’envie. Cette expérience avait pour nous, travailleurs sociaux, l’ambition d’obtenir de nouvelles pistes de compréhension.
Jérôme Beaury : Nous avons utilisé une pièce au sein de l’accueil de jour de l’un des six foyers éducatifs gérés par l’Association Calvadosienne pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte. La libre adhésion était le point de départ à cette rencontre. L’ambiance y fut d’emblée décontractée. Les règles furent posées d’emblée : écoute, accessibilité, pas de tabou, égalité. Les objectifs rappelés : apprendre à nous comprendre et nous rapprocher les uns des autres.

Comment s’est déroulée cette rencontre ?

Laura Godefroy  : Après leur avoir présenté le livre, j’ai organisé un temps novateur entre mon équipe éducative, l’auteur et les jeunes sur le thème de la place des jeunes placés dans la société de demain. Au-delà de ce que nous avions pu penser, certains jeunes ont souhaité participer à l’organisation de ce temps d’échanges. Nos attentes ont été atteintes, je l’ai constaté lors des échanges, mais surtout, lorsque des jeunes sont venus nous remercier personnellement après ce moment de grandes richesses. Et pourtant d’après leurs inquiétudes de départ, rien n’était gagné ! Par exemple, les jeunes ne voulaient certainement pas rencontrer Jérôme et se voir infliger une leçon de morale ! Leur exprimer la grande disponibilité et la simplicité de l’auteur a été absolument nécessaire. C’est un point que nous avons travaillé aussi en équipe avant la rencontre afin d’être tous cohérents les uns envers les autres. Jérôme a donc parlé de son parcours comme un parcours parmi tant d’autres et non assis sur une supposée supériorité. Chacun doit trouver le sien, Jérôme en a simplement fait une force. Leurs inquiétudes passaient aussi dans la difficulté d’exprimer leurs ressentis et même de prendre la parole en groupe ou encore d’être jugés.
Jérôme Beaury : J’ai trouvé là des jeunes en quête d’avenir avec beaucoup d’incertitudes. Très ouverts et pertinents, j’ai pu mêler ma vision à la leur : fugue, étiquette, collectif, scolarité, attentes familiales, consommation, le « bon ou le mauvais éduc », la question de la référence éducative, ont été abordés. Et ces jeunes ne m’ont pas épargné, profitant de mon expérience afin de se projeter plus facilement dans leur futur. Ayant bien saisi l’opportunité qui leur était offerte, ils m’ont forcé à puiser dans ma mémoire ainsi que dans le travail que j’ai dû faire pour m’en sortir : « est-ce que tu vois toujours ta famille, ta mère surtout ? »,« Comment as-tu pu échapper à la prison ? », « Quels sont les autres leviers que l’école pour s’en sortir ? », « D’où t’est venue l’idée d’écrire mon livre », « pourquoi es-tu devenu formateur en travailleur social »…Le sans tabou n’empêche pas les gênes et l’équipe éducative présente et moi-même avons pu rassurer puis essayer de dédramatiser certains propos qui auraient pu déranger certain(es) jeunes. Par exemple, la question de la consommation de stupéfiants qui reste un jeu pour certains jeunes et une réelle difficulté pour d’autres. Ou encore la question de la scolarité qui reste très « aléatoire » en fonction des projets de chacun. La sexualité et la question des abus sexuels qui touchent beaucoup de jeunes et qui sont vraiment difficiles à aborder. Je n’ai pas hésité à leur parler de mes expériences sur ce sujet, ayant été abusé moi aussi. Bien sûr, la question de la chance de « tomber » sur un bon éducateur est vite arrivée : silence dans la salle, tout le monde se sent concerné ! J’ai en effet eu des éducateurs plus intéressés par mon avenir que d’autres mais il s’agit là de stratégies relationnelles qui nous poursuivent tout au long de nos vies. Fort heureusement, notre secteur est largement concentré de professionnels qui ne nous veulent que du bien ! Il faut leur faire confiance et les écouter !! Nous avons pu rappeler qu’il était important pour chacun de trouver sa propre manière de s’en sortir et qu’il n’y a pas de règles toutes faites : j’étais autant perdu qu’eux, mais c’est un ensemble d’éléments qui ont contribué à m’aider à avancer. L’avantage de rassembler ces jeunes est aussi de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, la bienveillance étant le maître mot de la rencontre. Les jeunes avaient besoin d’un vocabulaire adapté, d’une complicité, de se sentir écouté, égaux et surtout en confiance : « ils ont ainsi pu parler de leurs inquiétudes sur ce temps alors même qu’ils ne se l’autorisent pas toujours ailleurs » ont pu remarquer les éducateurs. Le pari est donc gagné. C’est finalement un peu ce que mon ouvrage appelait à construire : un témoignage encore plus proche pour les personnes qui ne souhaitent pas le lire !
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La totalité de l’interview est à retrouver dans Lien Social n°1260 du 29.10.19

Laura Godefroy est éducatrice spécialisée en protection de l’enfance.
Jérôme Beaury est formateur à l’IRTS Normandie Caen.

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