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■ ACTU SOUTIEN - Vous avez dit identité ?

par Mélodie - éducatrice spécialisée



Quand j’entends le mot «  identité  », moi, j’ai peur, j’entends identique. J’en préfère d’autres - plus réjouissants - qui entrouvrent les portes de la pensée : «  altérité, contradiction, différence, contraste, opposition…  ». Quand on n’est pas d’accord, c’est une très bonne nouvelle ! Une grande fenêtre s’ouvre vers l’échange. Rappelons-nous aussi, comme le dit Heinz Pagels, que c’est de l’identité qu’est née la différence. Sans cette «  identité  », qui nous colle à la peau, personne ne serait pointé du doigt. Ne jamais oublier ce qui est advenu au xxe siècle à ceux qui étaient dépourvus d’yeux-bleus et de têtes-blondes. La barbarie a pointé le bout de son nez. De l’antisémitisme à la Shoah, il a suffi d’un tout petit pas et pas des moindres. Alors oui, cette question me tarabuste, m’égratigne, me fait monter sur mes grands chevaux. Je crains que cette trace indélébile des dérives identitaires se glisse insidieusement dans l’éducation ! On ne sait jamais avec l’archaïque, il déboule même avec les meilleures bonnes volontés. Je préfère de loin déceler ce qui nous tient ensemble dans la profession sans prôner une identité de métier. Il doit bien y avoir des concepts, des philosophies, des projets, des valeurs qui nous réunissent sans que nous nous confondions, devenions des «  mêmes  » et cultivions la pensée unique. Nous accorder sur les désaccords possibles, accepter d’avoir un petit peu tort de temps à autre et bannir les jugements, voilà une idée qui me fait rêver. Savoir accueillir nos doutes et nous sentir grandis quand nous prenons le temps d’échanger nos points de vue - ou nos références théoriques en esquivant les querelles de chapelles -, voilà ce qui me semble fécond. Dégommer le pullulement hiérarchique qui stratifie le social depuis trop d’années et étouffe la base - ceux qui voguent au quotidien et décodent les vrais besoins des personnes accompagnées -, voilà un projet fédérateur qui me donne la banane. Nos grands chefs sont tellement éloignés de la mise en œuvre des missions qu’ils nous confient, qu’ils ne parlent plus que d’économie, de budget, de sécurité, de dispositif… en oubliant que sans les «  usagers  » - oh le vilain mot ! -, ils n’auraient pas ce boulot ! S’attarder ensemble sur le sens du travail, réduire l’écart entre ceux du terrain (qui ont des outils de réflexion, faut pas croire) et ceux qui tiennent les manettes - et que ça cause intelligent, enfin ! Ne plus s’amuser de nous en nous divisant pour mieux régner, ne plus changer le personnel de place à tout va pour éviter l’attachement entre adultes et petits… Nous faire confiance et respecter la parole engagée, voilà qui fleure le balbutiement d’un travail qualitatif. En fait, l’idée serait quand même que les décideurs et les exécutants parlent la même langue ! J’avais une directrice, à une époque, issue de l’agroalimentaire ! Un océan nous séparait (plutôt un champ de maïs, du coup, voire un champ de betteraves aux néocotinoïdes !). Enfin, c’était surtout une histoire de sémantique entre nous. Les représentations, il faut quand même quelques billes communes pour les partager, non ? Et quid de l’arrivée des managers dans le social ? Une vaste fumisterie ! Et l’interdiction - énoncée par un grand nombre - de travailler avec passion et donc, il va de soi, la requête de garder une juste distance relationnelle (nombre de centimètres ) ? Il faut être à mille lieues de l’essence du travail social pour asséner de telles injonctions. Ce qui pêche, c’est de ne plus partager le même univers. Depuis que l’agence régionale de santé pilote, contrôle et organise des offres de soins dans les établissements de santé et les structures médico-sociales, lesdits «  usagers  » se sont transformés en clients, qui dit clients dit profits, et quand on profite on n’est plus au service de la personne. Cette contradiction se glisse au cœur de notre métier et procure une insécurité qui déstabilise tout le secteur. Alors, vite, vite la question de l’identité professionnelle nous titille car nous ne retrouvons plus l’essence de notre travail : la capacité à se détacher de soi pour être disponible à l’autre. Depuis que certaines directions sont piochées dans des sphères éloignées de l’éducation, j’ai observé que ces dernières (cerise sur le gâteau) se désabonnaient du journal Lien social. L’ont-elles seulement lu ? Ont-elles peur des liens qui nous unissent, des critiques subtiles, des réflexions qui bousculent, de nos luttes légitimes ? Mystère. Ce dont nous avons besoin, c’est de continuer à avoir un espace de parole pour partager nos points de vue, témoigner, rendre compte de nos pratiques diverses et variées et de s’entendre - ce qui est une autre paire de manches que de s’écouter à l’instar du chien planté sur la plage arrière d’une voiture et qui ne se préoccupe pas de la destination. Nous avons un but à atteindre, celui de retrouver une étoffe à ce job passionnant en tissant le «  travailler-ensemble  » avec le «  faire-équipe  » malgré - et surtout grâce à - nos différences. Lien social : un titre qui en dit long sur la question qui nous préoccupe aujourd’hui !
(1) Romancier et dramaturge suédois.
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