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■ ACTU - Jeunes exilés • Menottés à la sortie de l’ASE

Tous Citoyens ! et le Syndicat des Avocats de France alertent : le département des Alpes-Maritimes dénonce à la police des jeunes exilés non reconnus mineurs par l’aide sociale à l’enfance. Arrêtés, souvent menottés, ils se voient notifier une obligation à quitter le territoire Français.


La Caserne Auvare à Nice, commissariat dans lequel arrivent les mineurs non accompagnés (MNA) primo-arrivants et où transitent ceux qui sont arrivés. Crédit : DR


Tout a commencé fin juillet 2020. L’association Tous Citoyens ! et le Syndicat des Avocats de France (SAF) entendent parler de deux jeunes exilés qui après avoir été évalués comme majeurs par l’aide sociale à l’enfance (ASE), sont convoqués dans les bureaux du Département pour la notification de leur fin de prise en charge. « Jusque-là rien d’anormal sauf que juste après l’entretien, la police les arrête et les place en rétention administrative à la caserne Auvare, un commissariat, déplore David Nakache, président de l’association Tous Citoyens ! Contrairement à un centre de rétention, celle-ci ne propose pas de permanence juridique. Après une audition expéditive et plusieurs heures au sein du local de retenue, ils reçoivent une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ». Or celle-ci, valable un mois, n’est contestable que sous 48 h. Comment un jeune exilé, ne maîtrisant pas forcément le Français et ne connaissant pas la ville, peut-il trouver un avocat en si peu de temps ? Depuis, d’autres jeunes non reconnus mineurs non accompagnés (MNA) ont subi le même sort.

L’étau se resserre

Dans un communiqué de presse publié le 20 avril, l’association Tous Citoyens ! et le SAF dénoncent les pratiques mises en œuvre par le Département et la Préfecture des Alpes-Maritimes. Ce communiqué attire l’attention de la presse locale et nationale. L’ASE se justifie alors publiquement en évoquant une convention tripartite entre la préfecture, le Département et le Procureur de la République. « Elle prétend que son action est légale car fondée sur cette convention qu’elle refuse de produire et que nous ne pouvons donc pas attaquer, objecte David Nakache. Cette réponse est très choquante : l’ASE trouve normal de signaler des jeunes exilés à la police. Quand on lui demande combien d’entre eux sont concernés par cette convention, elle répond " très peu"  ». En réalité, selon l’association et le SAF, informés par leurs camarades, 90 % des jeunes convoqués par l’ASE, effrayés, s’enfuient. « Du coup, l’aide sociale à l’enfance en a fait arrêter quatre directement devant leur foyer. L’étau se resserre autour d’eux », alerte David Nakache.
Le département des Alpes-Maritimes est l’un des rares en France à faire réaliser l’évaluation de minorité par des agents ASE et non par une association extérieure.
Tous Citoyens ! et le SAF appellent à bien prendre la mesure de ce à quoi ils assistent dans le département : «  les mineurs non accompagnés subissent un système d’entrave systématique à leurs droits. À la frontière, ils sont refoulés illégalement, l’évaluation de minorité est déplorable, les places en structures d’accueil aléatoires, les majeurs signalés à la police pour arrestation, égrène David Nakache. On passe d’une logique de protection de l’enfance à une logique répressive. Que les agents ou les travailleurs sociaux de l’ASE fassent des signalements à la police est en outre extrêmement choquant, nous avons d’ailleurs eu du mal à le croire. Nous savons qu’il existe un grand turn over car nombre d’entre eux craquent ou refusent d’appliquer certaines consignes. Ils sont clairement dans une situation inconfortable, à la fois juges et parties : moins de mineurs reconnus égale moins de prises en charge à financer.  »
Une procédure extrêmement violente pour des jeunes convaincus de trouver du répit après un parcours migratoire douloureux, aujourd’hui angoissés et révoltés face à un système répressif qui réactive les traumatismes de l’exil. Une situation d’autant plus désastreuse que d’autres jeunes étrangers qui pourraient être reconnus mineurs ne font plus appel à l’ASE par peur d’être arrêtés.

Défenseur des droits saisi

L’association Tous Citoyens ! et le SAF ont déposé cinq recours au tribunal administratif qui a systématiquement levé les OQTF. Ils demandent au président du conseil départemental et au préfet de mettre immédiatement fin à ces pratiques choquantes, saisissent la Défenseure des droits, l’Inspection générale des affaires sociale (Igas) et invitent l’ensemble des acteurs concernés par la prise en charge des mineurs non accompagnés à dialoguer et à œuvrer en commun pour un accueil digne et respectueux de leurs droits.
La Direction de l’enfance, sollicitée par Lien Social, n’a pas donné suite. Les services du département se sont défendus auprès de l’Agence France Presse (AFP) en évoquant « une fin de prise en charge  » et un « accord avec la police  ». Circulez, il n’y a rien à voir ?

Katia Fiorenzi-Rouff